segunda-feira, 23 de maio de 2011

Comprendre la révolution espagnole






[tous les liens de ce billet sont en espagnol, sauf mention contraire]


Vous entendez toutes sortes de bêtises sur les mobilisations à Sol1 et dans de nombreuses villes d’Espagne : des théories conspirationistes absurdes [émission de radio] de ceux qui voient des ombres derrière toutes choses, jusqu’à la simplification grossière2 de ceux qui mettent l’étiquette “anti-système” alors même qu’ils ont la réponse sous les yeux. Ou encore la stupidité de de ceux3 qui prétendent être d’accord avec les manifestants [pdf], alors que ceux-ci protestent précisément contre eux, ce qu’ils ont fait et contre ceux qu’ils représentent.
Je suis totalement d’accord avec Periodismo Humano : quelque chose de grand est en train de se passer ici. Le rejet des théories conspirationnistes stupides est absolu et radical, l’interprétation est claire et convaincante : les gens descendent dans la rue parce qu’ils réclament un changement. Un changement sur le fond dans la manière de faire de la politique et d’exercer la démocratie.
Analyser les demandes des uns et des autres est un exercice vain : parmi les gens que je vois manifester dans la rue, très peu soutiendraient explicitement ces demandes. Beaucoup arrêtent de les lire parce qu’elles n’en valent tout simplement pas la peine : les citoyens descendent dans la rue avec une contre-pétition, appelant à un changement radical, parce que les partis politiques et le système ne les représentent déjà plus. Ils en représentent d’autres.
En ce qui concerne les demandes concrètes… cela viendra plus tard, pour le moment, nous sommes dans un processus de changement. De quoi ? Il est trop tôt pour le savoir, et il possible d’espérer que, quel qu’il soit, ce changement soit pacifique, ordonné et civilisé. Je suis entièrement d’accord avec le billet d’Antonio Ortiz à cet égard.


Voici les clefs du mouvement que nous sommes en train de vivre :

L’origine, le déclenchement

C’est le moment où les trois grands partis, PSOE, PP et CiU, forment un pacte pour faire passer la ley Sinde4 , en contradiction flagrante avec la volonté d’une grande majorité de citoyens, pour faire plaisir à un lobby. Attention, ceci n’est que le début, le détonateur : à l’heure actuelle, cela n’a déjà plus d’intérêt ou de pertinence dans les manifestations. Mais en voyant l’acharnement pathétique à “faire passer cette loi à tout prix” alors que l’ensemble du réseau s’était soulevé contre elle, le relayer en direct a eu le même effet – avec tout le respect dû aux tunisiens et en demandant pardon d’avance pour la comparaison tragique – que le suicide de Mohammed Bouazizi s’immolant en Tunisie. De l’activisme contre la ley Sinde est né le mouvement #nolesvotes (ne votez pas pour eux), en plus de la cristallisation d’un climat de mécontentement évident contre toute une manière de faire de la politique.

Les motifs réels

Les véritables raisons sont, et cela n’a échappé à personne, des sujets tels que la gestion de la crise économique, la corruption, le chômage (en particulier le taux de  plus de 40% de chômage pour les jeunes) et surtout, la désaffection envers une classe politique, identifiée comme l’un des problèmes majeur de la citoyenneté dans les enquêtes du CIS5. Egalement, le désenchantement que l’on peut ressentir face à cette manière de faire de la politique qui fait de l’électeur un être sans importance, juste bon à déposer un bulletin dans une urne et qui, par cet acte, donne à un parti politique toute la légitimité de faire ce que bon lui chante pendant quatre ans6. Un parti qui est devenu une grande entreprise inefficace et corrompue répondant aux intérêts des lobbies et pas à ceux des citoyens.

Place Sol à Madrid : Nous ne nous tairons pas ! La démocratie, maintenant !

Le témoignage est recueilli par d’autres associations

D’abord JuventudSinFuturo (Jeunesse sans futur) et ensuite DemocraciaRealYA (Une vraie démocratie maintenant !) ont été capables de s’organiser brillamment, avec civilité et pacifiquement pour transposer ce mouvement dans la rue. Ce fut l’épreuve du feu, le “moment de vérité” :  avant que les protestations ne prennent vie dans la rue, le réseau bouillonnait de dizaines de tweets par minute, de groupes Facebook et de posts de blogs, mais personne n’avait encore sauté le pas. Après les protestations, les gens se sont rendus compte qu’ils n’étaient pas les seuls à partager cet opinion, et que si l’organisation et l’action sont possibles, ils sont aussi une réalité concrète. C’est comme cela qu’est tombée la barrière que beaucoup se mettaient pour descendre dans la rue.

La décision de descendre dans la rue répond à un sentiment général

Et non pas à une revendication particulière comme une série de points d’un programme. Dans la rue, vous pouvez voir des personnes de tous les âges, opinions politiques, de toutes les conditions sociales. Des étudiants en chemises jaunes, des chômeurs, des punks, des retraités, des entrepreneurs, des enseignants … J’étais là, concrètement, et j’ai rencontré tous ces profils, un par un, et plus encore. Un qui salue une connaissance, et j’ai pu moi-même saluer plusieurs anciens élèves, des collègues, des gens que je connais qui ont créé des start-up, des cinéastes, des avocats, des journalistes … On trouve de tout. Littéralement tout.
Ne vous attendez pas à un accord sur les mesures à prendre, c’est impossible. Mais s’il y a une chose sur laquelle il existe bien un accord c’est la nécessité d’un CHANGEMENT. Et un retour en arrière n’est pas envisageable.

La démocratie, maintenant !

La simplification est mauvaise

Que les jeunes de gauche soient les plus susceptibles de descendre dans la rue ne veut rien dire, et prétendre inscrire ce soulèvement dans une idéologie ou un parti spécifique est tout simplement absurde. C’est normal et inévitable. Tenter de se placer devant les gens pour faire croire qu’ils vous suivent est encore plus pathétique : dans un mouvement aussi connecté, la personne qui tente de “diriger” en appliquant des techniques pastorales comme on le ferait pour un troupeau de bêtes se fait immédiatement régler son compte sur les réseaux sociaux.
En Égypte, il avait eu des moments où il semblait que les Frères musulmans monopolisaient la protestation, et d’autres qui montraient clairement la diversité et la pluralité au sein du mouvement. Ici il n’y a pas de leader, il y a des gens. Personne ne suit personne réellement, il ne s’agit même pas de savoir si c’est bien comme ça ou pas. Le désir de changement continue d’être présent, et c’est tout.
Attribuer ces manifestations à des mouvements organisés, à une stratégie concrète ou a des personnes spécifiques est une vieille interprétation, typique de ceux qui ne comprennent rien à ce qui se passe. Chercher à mieux organiser le mouvement, prétendre que des demandes concrètes sont en cours, demander un leadership plus clair et incarné ou chercher sous les pierres son origine alambiquée est absurde : cela ne peut pas être, et plus que tout, c’est impossible.

Et maintenant ? Maintenant nous voulons plus !

Une fois la mèche allumée, il est très difficile de l’éteindre. La manifestation du 15M (15 mai) à Madrid a rassemblé des dizaines de milliers de personnes ; un événement autorisé et organisé depuis des semaines. Cependant celui d’hier, le 17 mai à Sol, a été organisé en quelques heures, en utilisant uniquement Twitter et Facebook. La place de 10000 m2 fut presque entièrement remplie, jusqu’à la rendre impraticable.
L’exemple s’est également largement étendu à d’autres villes. Le contrôle de tous ces mouvements est tout bonnement impossible. Il faut absolument, et par tous les moyens, que tout se déroule de façon civilisée et pacifique, mais ne nous ne sommes pas sûrs d’éviter des mouvements incontrôlés d’une part ou des réactions excessives d’autre part.  L’ordre malheureux d’expulsion du camp de la place Sol dans la nuit de dimanche a déclenché le rassemblement de mardi après-midi, et ce phénomène pourrait se produire plus souvent.

L'avarice nique la liberté

Il est important de comprendre que nous avons passé une étape

Une étape vers un modèle que les partis politiques devront comprendre, de gré ou de force. Ils ne peuvent plus ignorer les citoyens et défendre d’autres intérêts. La politique ne peut pas continuer à être menée de cette manière là.
Nous ne sommes pas dans le cas de la Tunisie ou de l’Égypte : en Espagne il y a un gouvernement démocratiquement constitué et personne ne descend dans la rue pour le renverser, mais des changements importants sont nécessaires, des changements en profondeur et drastiques que les partis devront mettre en place maintenant.
Pour l’instant, les partis politiques sont en train de minimiser l’importance de cette question, et pensent : « ça va leur passer ». Mais nous ne sommes pas dans cette dynamique. Probablement l’ampleur du changement nécessaire est telle que nous devrons faire des modifications depuis le code électoral jusqu’à la Constitution elle-même. Mais si cela ne se fait pas, si des avancées dans ce sens ne se font pas sentir, le mouvement continuera, et a de fortes chances de s’étendre.
Si nous tenons jusqu’au dimanche 22 mai et que les élections nous ressortent le même scénario et toujours les mêmes messages, j’ai le sentiment que le mouvement va s’intensifier. Mais en qui concerne ces mouvements de société, personne n’en possède le contrôle ou le pouvoir de prédire ce qu’il en adviendra.
La seule certitude est que l’Espagne a déjà sa révolution.

Publié initialement sur le blog de Enrique Dans, sous le titre “Entiendo la #spanishrevolution” Traduction : Ophelia Noor
Crédits photos :
via Flickr : Amayita [cc-by-nc-nd] ; Garcia Villaraco [cc-by-nc-sa] ; Brocco Lee [cc-by-sa]
via le wiki de #nolesvotes, logo sur fond noir nolesvotes
Retrouvez tous les articles de notre Une Espagne sur OWNI (illustration de Une CC Flickr Le Camaleon)
- Jose Luis Sampedro: “la vie ne s’arrête pas”
- Manifeste ¡ Democracia real ya !
  1. la place Sol est au centre de Madrid, elle serait l’équivalent de notre place de la République ou de la Bastille []
  2. ndlr : l’auteur parle ici d’Esperanza Aguirre, présidente actuelle de la communauté de Madrid et membre du PP, parti de droite espagnol []
  3. ndlr : le PSOE, parti socialiste espagnol []
  4. ndlr : la Hadopi espagnole au goût de Loppsi []
  5. Centre des enquêtes sociologiques []
  6. durée du mandat en Espagne []
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