“A Bruxelles, certains gardent toujours une valise près de la porte, au cas où. Si la prime* [de risque] augmente trop dans un pays à cause des frictions financières, ils attrapent leurs bagages, sautent dans un avion et viennent à sa rescousse”,  écrit l’éditorialiste Ignacio Camacho dans ABC à propos des fonctionnaires que la Commission européenne dépêche dans les pays qui, comme l’Irlande, la Grèce ou le Portugal, sont soumis à un plan de sauvetage. Une hypothèse que le gouvernement de Madrid, alors que le pays est en proie à une grave crise bancaire, réfute pour le moment. Pour Camacho, 
Ces mesures sont qualifiées de plan de sauvetage, mais en réalité, elles relèvent plus d’un détournement : la souveraineté du pays en difficulté est prise en otage et la nation subit un traitement de choc jusqu’à ce que ladite prime diminue. Ce sont les hommes en noir, les “Men in Black”, les émissaires de la terrible troïka communautaire, les commissaires qu’Angela Merkel envoie pour imposer ses mesures inflexibles de discipline budgétaire. C’est une brigade sans pitié dont la présence sème la panique au sein des gouvernements lorsque la situation commence à ressembler à celle que traverse actuellement l’Espagne.
A cause d’eux, l’éventualité d’un sauvetage – il ne s’agit jamais d’une option, même si ça y ressemble officiellement – finit par être complètement contre-indiquée. En théorie, cela pourrait être une solution d’urgence raisonnable en cas de blocage : faire appel à des personnes n’étant pas impliquées dans les conflits d’intérêts nationaux, capables d’appliquer des mesures catégoriques sans prendre de risques politiques ou électoraux. Le genre à ne pas hésiter face à la broutille que sont les communautés autonomes [les Régions espagnoles] et à ne pas se laisser impressionner par la filiation des dirigeants des caisses en difficulté. Des professionnels de la propreté, aussi froids que Winston Wolf dans Pulp Fiction. C’est peut-être ce dont a besoin un pays paralysé par l’échec institutionnel et un enchevêtrement de nœuds indémêlables. Mais le manuel qui dicte leur conduite est implacable et inflexible, réfractaire aux nuances et guidé par une logique purement comptable : tout commence par les retraites et les allocations-chômage, puis c’est au tour des impôts et des salaires des fonctionnaires, pour finir avec la vente de tout le patrimoine susceptible d’être acheté.
A la fin de leur mission, les hommes en noir laissent l’économie en ruine et le monde politique dévasté, et ils repartent bras dessus, bras dessous avec la prime de risque, en dépoussiérant leurs chaussures. Ils sont peut-être capables de nettoyer un pays qui s’effondre, mais s’il existe une quelconque chance de le récupérer, ils l’enterrent sous les décombres. Si les hommes en noir débarquent à Madrid, l’Espagne perdra toute confiance en elle pendant des années, et tout ce qu’elle a fait jusqu’à présent n’aura servi à rien. La consigne [du Premier ministre] Mariano Rajoy est de résister, de gagner du temps, de s’accrocher au grand mât pour voir si la tempête passe. A deux semaines des élections cruciales qui doivent avoir lieu en Grèce, se rendre n’a aucun sens, même si l’horizon a l’air menaçant. Ce qu’il faut, c’est pouvoir résister à la pression : la donnée inconnue, c’est le temps qu’il reste avant que les "Men in Black" ne débarquent avec leurs sinistres bagages. 

* en espagnol, "primo" et "prima" signifient respectivement cousin et cousine