quarta-feira, 13 de junho de 2012

Uma Guerra, Onde se Morre Mais do Frio do que dos Combates


Inde-Pakistan : Sur le glacier du Siachen, guerre froide en haute altitude

L'hydrologiste pakistanais Arshad Abbasi estime que 30 % du Siachen a fondu depuis 1984, alors que les glaciers alentours se sont étendus dans le même temps.
Crédits : AFP/AAMIR QURESHI / AAMIR QURESHI
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Un face-à-face glacial au-dessus des nuages, un conflit absurde sur "le plus haut champ de bataille du monde". Depuis près de trente ans, plusieurs milliers de soldats indiens et pakistanais se défient sur les sommets de l'Himalaya autour d'un des plus grands glaciers de la planète, le Siachen. Une dispute frontalière par - 60 °C, entre 4 000 et 7 000 mètres d'altitude.

Le Siachen, que revendiquent les deux grands voisins depuis 1984, est au cœur de la nouvelle série de discussions - la treizième en vingt-huit ans - qui s'est déroulée lundi 11 et mardi 12 juin à Islamabad. Malgré un coût humain et financier exorbitant, les précédentes tentatives de règlement de cette question ont toutes échoué. Islamabad et Delhi, qui s'affrontent sur la question du Cachemire, région où se situe le glacier, depuis la partition de l'Empire des Indes en deux nations en 1947, divergent toujours sur les modalités de retrait de la zone.
Ce conflit est un héritage du tracé inachevé de la ligne de cessez-le-feu définie après la première guerre indo-pakistanaise en 1949. Cette ligne s'arrête, encore aujourd'hui, au pied du glacier, au point NJ9842, créant de fait un "no man's land".
  • Près de 8 000 victimes... surtout hors combats
Drôle de guerre que ce conflit armé où le froid et les crevasses font plus de victimes que les lance-roquettes. Selon des experts militaires pakistanais, un soldat pakistanais meurt tous les trois ou quatre jours et un Indien presque tous les jours aux abords du glacier, soit 8 000 morts depuis le début du conflit. Rares sont ceux à être tombés sous les balles de l'ennemi : la plupart sont victimes des températures, du manque d'oxygène, de dérèglements cardiaques, d'œdèmes cérébraux, d'avalanches ou de glissements de terrain... A en croire le maréchal de l'air à la retraite Nanda Harappa, 80 % des pertes indiennes sont directement imputables aux intempéries.
"Cette guerre a un côté surréaliste. On n'y meurt pas d'un coup de feu, mais des conditions climatiques", souligne Jean-Luc Racine, directeur de recherche au CNRS et vice-président d'Asia CentreMalgré un cessez-le-feu en vigueur depuis 2003, les hommes continuent de tomber sur le toit du monde : début avril, près de 140 Pakistanais ont ainsi trouvé la mort, emportés par un glissement de terrain. En quelques secondes, 127 soldats et 11 civils qui occupaient le camp de Gayari ont été happés par une avalanche et enfouis sous une vingtaine de mètres de neige, terre et rocailles.
  • Un conflit d'égo onéreux
La ligne de contrôle de l'armée indienne suit la crête Saltoro sur les hauteurs du glacier Siachen. Les troupes pakistanaises sont massées en contrebas.
Cet énième "accident de guerre" a rappelé aux deux grands voisins la nécessité de crever l'abcès d'un conflit qui a plus à voir avec les susceptibilités patriotiques qu'avec la géopolitique. New Delhi et Islamabad en conviennent : leur présence militaire dans cette région hostile n'a plus guère de raison d'être.
Mais rares sont ceux qui prédisent une prochaine démilitarisation de la région. A en croire le colonel Sher Khan, un officier pakistanais à la retraite et alpiniste spécialiste de la région, les discussions achoppent sur un simple "problème d'égo""Aucun des gouvernements n'est encore prêt à faire ce pas, même s'ils le souhaitent [...] C'est une guerre meurtrière, stupide et inutile", résume-t-il.
"Cette guerre ne revêt pas d'enjeu stratégique, renchérit Jean-Luc Racine. Le Siachen est avant tout symbolique." Le glacier a beau fournir d'immenses quantités d'eau douce à l'Inde et au Pakistan"il n'a aucune intérêt économique, seuls les fleuves qu'il alimente sont exploitables. Le fait est que les Indiens ne veulent tout simplement pas voir le Pakistan contrôler cette zone en altitude qui surplombe la région indienne du Ladakh". Un conflit d'égo qui coûte cher. Le déploiement de troupes sur l'Himalaya est financé à hauteur de 60 millions de dollars par an par le Pakistan et coûterait 200 millions à l'Inde, selon le quotidien pakistanais The News.
Stephen Cohen, autre spécialiste réputé de la région, résume d'une phrasel'aspect "purement psychologique" de cette absurde affrontement sur les neiges éternelles : "Deux chauves qui se battent pour un peigne". Un peigne qui se trouve au cœur d'un conflit autrement plus complexe, celui du Cachemire.
  • D'un "no man's land" cartographique à une guerre de position
On l'appelle le "troisième pôle". Avec ses quelque 75 kilomètres, le Siachen est l'un des plus longs glaciers du monde en dehors des pôles. Mais à la fin de la première guerre indo-pakistanaise, personnsie n'imagine que cette zone inhospitalière deviendra l'enjeu d'un bras de fer militaire pour des décennies. Quand les deux pays s'entendent sur l'établissement d'une ligne de cessez-le-feu en 1949, ils arrêtent son tracé juste avant le glacier, au point NJ9842. A partir de là figure une simple mention : "En direction du nord, vers les glaciers". Le Siachen devient un "no man's land" cartographique. 
Dès lors, chacun des deux camps tirera sa propre ligne comme il l'entend, comme le montre cette carte de l'Atlas du Monde Diplomatique :
Carte extraite de l'Atlas du Monde diplomatique, Un monde à l'envers, Paris, 2009.
Oublié de tous, le glacier coule des jours paisibles sur les sommets de l'Himalaya, jusqu'au début des années 1980. Soupçonnant son voisin de vouloir prendre position sur le Siachen sous couvert d'expéditions en montagne, l'armée indienne réagit, le 13 avril 1984, en lançant l'opération "Messager du froid". Quelques milliers d'hommes de la région, adaptés au climat et accompagnés de soldats qui se sont aguerris en Alaska, s'installent sur le glacier avec du matériel militaire, et n'en partiront plus, malgré les tentatives répétées du Pakistan pour les en déloger.
Le conflit se transforme rapidement en guerre de position. Les Indiens gardent le contrôle du Siachen en tenant les hauteurs de la chaîne du Saltoro (entre 5 450 et 7 720 mètres d'altitude), l'ennemi pakistanais se trouvant relégué sur le flanc des vallées ou sur les sommets avoisinant.
Jusqu'au cessez-le-feu de 2003, les échanges d'artillerie sont quotidiens, et les tentatives des Pakistanais pour récupérer les avant-postes indiens se soldent par autant d'échecs (1987, 1989, 1992, 1994, etc.). Depuis cette date, une guerre froide absurde mobilise près de 8 000 soldats, à la merci d'un environnement hostile.
  • "La plus haute décharge du monde"
Le maintien par l'Inde et le Pakistan de milliers de soldats autour de sommets déserts ne fait pas que sacrifier des vies par centaines : il pollue et détruit à petit feu un écosystème vital pour la région.
Selon les travaux d'une équipe française publiés dans Nature Geoscience, les glaciers de la chaîne du Karakoram font exception au mouvement général de fonte des glaces et se sont étendus ces dernières décennies. Sauf le Siachen, qui "a reculé d'environ 800 mètres au cours des vingt dernières années" du côté du Ladakh en raison des activités militaires dans la région, affirme un responsable des Nations unies, qui viennent de publier un ouvrage intitulé Conservation de la biodiversité dans l'Himalaya. L'hydrologiste pakistanais Arshad Abbasi estime qu'en tout, 30 % du Siachen ont fondu depuis 1984.
Dans un rapport publié fin 2005, le climatologue américain Neal Kemkar soulignait que le "plus haut champs de bataille du monde" était, aux dires même d'officiers indiens, en passe de devenir "la plus grande et haute décharge du monde". Du seul côté indien, plus de 900 kg de déchets seraient jetés chaque jour dans des crevasses, selon ces officiers. Sur des photos prises par l'armée pakistanaise, on constate que la pente du glacier n'est plus qu'un énorme amas glacé gris clair et nu, que quelques pelleteuses et bulldozers tentent laborieusement de percer.

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