terça-feira, 27 de novembro de 2007

ALAIN TOURAINE

Résumé

Alain Touraine occupe une place prépondérante au sein de la sociologie française. L’ouvrage d’Alain Lebel propose de repérer et de comprendre les méandres d’une pensée certes difficile mais profondément riche.

Commentaire critique

Vie et œuvre (une quarantaine de titres) sont intiment liées chez Alain Touraine. D’une jeunesse studieuse passée sur les bancs de Louis-le-Grand et de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, Touraine garde le souvenir d’un certain ennui, tout du moins d’un parcours qu’il juge lui-même classique pour un enfant de la bourgeoisie (fils de médecin). La Seconde Guerre mondiale semble présenter pour le sociologue français une rupture personnelle et les prémisses d’une vocation pour l’histoire. Au lendemain du conflit, le jeune Touraine voyage en Hongrie puis en Yougoslavie mais c’est dans le Nord de la France que va se révéler chez lui la volonté de comprendre la société. En découvrant le monde ouvrier minier, Touraine explore pour la première fois le monde du travail, exploration associée à la rencontre avec G. Friedmann qui lui conseille de passer l’agrégation d’histoire (1950) avant de rentrer au CNRS puis de fonder en 1956 la revue Sociologie du travail avec Crozier, Reynaud et Tréanton. Ses premiers ouvrages (L’évolution du travail ouvrier aux usines Renault, 1965 et La conscience ouvrière, 1966) traduisent cet intérêt pour la sociologie industrielle. La découverte du fonctionnalisme au contact de Parsons à Harvard au début des années 1950 va jouer un rôle prépondérant dans la constitution de sa théorie de l’actionnalisme, théorie qui deviendra un des principaux courants sociologiques du xxe siècle. En effet, cette méthode d’analyse sociologique vise à reconstituer l’orientation normative de l’action d’un sujet historique à partir de sa situation de travail. Il s’agit de découvrir la dynamique d’un système d’action historique en construisant un système d’interprétation des conduites sociales. Touraine refuse symétriquement le fonctionnalisme parsonien qui interdit de critiquer l’action et l’« althussérisme vulgaire » qu’il voit à l’œuvre au sein de l’université française des années 1960 et qu’il convient selon lui de réfuter au nom d’un acteur différent d’un simple jouet des structures sociales. La découverte de l’Amérique latine (années 1950) et notamment du Chili où il y rencontrera sa future femme constituera également un élément majeur dans la vie et l’œuvre d’Alain Touraine. Les multiples voyages (États-Unis, Chili, Pologne…) qui jalonneront la carrière de Touraine peuvent appeler deux remarques : tout d’abord cette recherche de déracinement géographique rappelle sa première vocation d’historien. Ensuite, ces voyages universitaires caractérisent une véritable recherche de compréhension des autres sociétés comme préalable à la connaissance de sa propre société. La carrière universitaire française de Touraine n’étant pas sans heurts comme l’illustre sa soutenance de thèse (Sociologie de l’action, 1965) sous la présidence de Raymond Aron et que le sociologue vivra comme une véritable « mise à mort cérémonielle ». Touraine conservera toujours un goût prononcé pour la découverte de sociétés étrangères.
La sociologie tourainienne est liée à un certain engagement social (Mai 68, grande grève de 1995, question de la laïcité et du voile islamique à l’école…), engagement qui peut s’expliquer par les concepts fondamentaux et la méthode sociologique développée par Touraine.
La présentation de quatre ouvrages (Sociologie de l’action, 1965 ; Le retour de l’acteur, 1984 ; Critique de la modernité, 1992 ; Un nouveau paradigme, 2005) par Alain Lebel ainsi que la constitution d’un succinct lexique, permettent la découverte de la pensée du sociologue et ce, avec un souci permanent de souligner l’originalité et la fécondité d’une œuvre qui, ayant connu certaines inflexions, n’en demeure pas moins indispensable à la compréhension des sociétés contemporaines. Ainsi, par l’étude de l’évolution du travail ouvrier, Touraine développe l’idée qui sera reprise plus tard dans son analyse des mouvements sociaux, qu’il existe trois principes fondamentaux (principe d’identité, principe d’opposition et principe de totalité) à partir desquels on peut penser l’évolution des consciences professionnelles et notamment celle du monde ouvrier. En effet, les transformations de ces différents principes permettent d’expliquer et de comprendre dans quelle mesure l’ancienne conscience ouvrière se transforme en conscience de classe professionnelle puis en conscience de classe économique et en conséquence de situer dorénavant le conflit à l’intérieur même d’un système de production désormais accepté et non plus contre ce même système.
Le concept d’historicité est central dans l’analyse de Touraine. Cette capacité d’une société à se produire, à se transformer elle-même notamment par le biais de la création de ses propres orientations culturelles devient l’enjeu des rapports de classes. En effet, le contrôle de l’historicité par une classe dirigeante entraîne des conflits sociaux entre les classes, ces dernières ne s’opposant plus sur l’état de forces productives mais sur le contrôle de l’historicité. La vision tourainienne se situe en conséquence à distance des sociologies marxistes (les conflits ne sont pas indépassables), des sociologies libérales (les rapports de classe ne s’expliquent pas en termes d’influence et de stratégie mais en termes de lutte pour le contrôle de l’historicité) et des sociologies fonctionnalistes (l’individu ne fait pas que s’adapter à l’environnement, il peut également le modeler par les biais des mouvements sociaux). Touraine construit un ensemble conceptuel à même d’analyser les sociétés et leur évolution (passage des sociétés traditionnelles aux sociétés industrielles puis post-industrielles).
Les mouvements sociaux sont de fait au cœur de l’analyse sociale proposée par Touraine. Le mouvement social est compris comme « la conduite collective organisée d’un acteur luttant contre son adversaire pour la direction sociale de l’historicité » (La voix et le regard, 1978). Tout mouvement social se structure autour des trois principes d’opposition, de totalité et d’identité. En conséquence, toutes les formes de conflits ne sont pas des mouvements sociaux puisque ne possédant pas nécessairement ces trois principes mais en raison du principe d’opposition, tout mouvement social est conflit social. Le mouvement social porte ainsi sur le système d’action historique, se situe à l’intérieur du champ d’historicité et en est un acteur principal.
Selon Touraine, le travail du sociologue réside dans la découverte et l’analyse du mouvement social central de chaque type de société. Au mouvement social ouvrier caractéristique de la société industrielle, se sont substitués des nouveaux mouvements sociaux dans les sociétés post-industrielles. Comment étudier ces nouveaux mouvements sociaux qui ne visent plus la transformation des situations et des rapports économiques mais « la défense de la liberté et de la responsabilité de chaque individu contre la logique impersonnelle du profit et de la concurrence » (Un nouveau paradigme, 2005) ? La méthode de l’intervention sociologique, développée dans les années 1970 doit permettre une telle analyse. En effet, le sociologue aide un groupe de militants à parvenir à une auto-analyse de ses pratiques puis il élabore des hypothèses quant à la signification de ce mouvement. Le processus consiste en une suite d’interactions entre chercheur et groupe de militants, interactions devant permettre, in fine, au groupe de militants de réinterpréter son action passée et de réorienter son action à venir en ayant pris conscience du cadre plus global dans lequel ces dernières s’inscrivent. De nombreuses critiques ont été formulées à l’encontre de cette méthodologie notamment sur la question d’une influence (inévitable ?) du chercheur sur le mouvement social qu’il cherche à analyser.
La sociologie de Touraine demeure plus que jamais d’actualité comme en témoigne ses recherches les plus récentes sur le mouvement des femmes (Le monde des femmes, 2006), mouvement qui serait au monde contemporain ce que le mouvement ouvrier était à la société industrielle.

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