quarta-feira, 28 de maio de 2014

O Nosso Tempo Exige Criatividade Na Política

Peut-on sortir du capitalisme par une économie convivialiste?


Ces notes préparées pour une conférence-débat organisée par l’association « Démosthène » à Caen posent une question qui dépasse le thème du débat annoncé. Ce dernier aurait pu être compris comme une recherche de mots d’ordre, voire de recettes, pour sortir du capitalisme. En effet, le « Manifeste convivialiste » soulève beaucoup de questions, tout en remettant en lumière les contradictions avec lesquelles nous vivons tous les jours tandis que, par nos actions quotidiennes, nous les remettons en question. 
Ceci dit, aurais-je parlé d’ « économie convivialiste »?  Je ne le pense pas. Car l’idée d’une « économie » séparée de la société, ou de la Cité, n’a de sens qu’avec la montée de notre modernité. Or on identifie celle-ci au capitalisme.  S’ensuit que l’idée qu’une économie « convivialiste » serait une contradiction dans les termes. 
Pourtant, il faut bien que nous – quelque soit le « nous » en question, individu, série, groupe, société voire État – nous reproduisons, matériellement, aussi bien que par l’esprit qui nous unit.  Ce ne sont plus les ouvriers d’Aristote travaillant dans l’oikos ni ceux de Fritz Lang dans un univers mécanisé qui pourvoiront à nos besoins.  Il faut donc réfléchir au capitalisme qu’il nous est donné de vivre et à la sortie de ce système qui ne cesse de donner des preuves de ses failles.  C’est pourquoi j’ai accepté l’invitation de l’association Démosthène à participer au débat organisé à Caen le 15 mai 2014. Je tiens à saluer sa convivialité. 
Le débat était, j’ose le croire, intéressant pour tous les participants, en tous les cas pour moi. Je propose ici les notes schématiques écrites avant le débat. Mais ma participation était  surtout improvisée à partir des échanges avec le public et avec Christophe Fourel. Pourtant, je suis venu à Caen avec une feuille de route qui garde, je crois, un intérêt pour le lecteur. 
Le voici. On verra par ailleurs que je cherche à remettre la problématique « convivialiste » dans un contexte plus classiquement « marxien », celui de la théorie critique dont les origines se retrouvent chez l’école de Francfort.

Je tiens à noter d’abord que le « Manifeste convivialiste » est à la fois similaire et différente du « Manifeste communiste » de Marx. 
Similaire  par le fait qu’il essaie de rendre « manifeste » les linéaments critiques et contradictoires de la réalité sociale et des tendances latentes qui en expliquent l’instabilité sinon la disparition du moins le dépassement nécessaire. 
Mais différent par le fait qu’il n’en tire pas des leçons politiques tactiques immédiates à entreprendre par ses partisans (ni non plus ne se livre à une critique de tendances opposées). 
Autrement dit, le « Manifeste convivialiste » ne présente pas le point de vue d’un parti politique, pas plus qu’il ne prétend expliquer comment et pourquoi les contradictions historiques seraient dépassées une fois pour toutes. 
Si tant est que des conclusions politiques s’ensuivent du « Manifeste convivialiste », elles seraient avant tout pragmatiques.  À nous d’y contribuer, conscients que le monde où nous vivons n’est pas « convivial » mais plutôt conflictuel.

1.  La sortie du capitalisme ?

a) Pour commencer, comment expliquer le phénomène de la popularité américaine de Thomas Piketty, auteur Français, explicitement non-marxiste (d’autant plus que la « contradiction immanente du  capitalisme » au fond de sa thèse indique plutôt la victoire du capital dans sa lutte avec le travail) ?  Voici une illustration de la différence politique des révolutions française et américaine :  faire appel à l’état pour assurer la liberté (et peut-être l’égalité) ou s’en débarrasser afin que la liberté donne lieu éventuellement à une égalisation des conditions. 
b)  Mais, au delà de son impressionnante documentation, Piketty fait appel à notre sens d’injustice — mieux :  à notre indignation (ce qui fait allusion aussi au rôle de la dignité comme valeur fondamentale).  Mais cette indignation ne définit pas une politique, tout juste une – saine – morale !  Et ceci dans une Amérique foncièrement protestante…et en dernier lieu antipolitique.  Au mieux, il y a des mouvements : anti-esclavage, anti-racisme... anti-guerre aussi !  Mais ceux-ci sont surtout des réactions d’indignation !
c)  Qu’est-ce qu’on peut tirer de ce rappel historique par rapport au convivialisme ?  Qu’il n’y a pas de souverain aux États-Unis… ni l’État, ni le peuple, ni des corporations. Pas plus la « classe ouvrière » -- ou « le travail ».  C’est la thèse de mes Origines de la pensée politique américaine.  Mais peut-on en tirer la conclusion que l’Amérique est pour cette raison vouée au pragmatisme (un terme que je n’aime pas beaucoup, qui peut bien être traduit en politique comme « opportuniste ») ? 
d)  Je reviens donc à Marx (à sa théorie du capital, pas à sa théorie de l’Histoire avec grand « H »).  J’y trouve le fondement d’une théorie critique qui cherche à déceler le positif sous le négatif par le développement d’une critique immanente plutôt qu’une critique externe morale ou simplement normative.  L’exemple crucial se trouve dans le premier volume du Capital, la critique de laforme de la marchandise, suivie par l’analyse du fétichisme de la marchandise.  Dans le volume trois, l’analyse des tendances qui invalident la fameuse loi de la chute tendantielle du taux de profit.
e) Mais deux problèmes restent à résoudre:  i) la critique immanente suppose quand même qu’il existe un sens progressif de l’histoire ; la politique devient alors une « sage femme » qui permet un accouchement sans douleur (genre Lamaze) ; ii) la critique externe devient une critique à partir d’une position morale… soit normative (et déontologique, sinon religieuse), soit existentielle et donc sans fondement.  (Voir Caillé, « Au delà du marxisme et du capitalisme » dans Fourel, Sortir du capitalisme.  Le scénario Gorz (Paris, 2013).

2.  Pistes pour une économie convivialiste :

a)  Pour en sortir, peut-être revenir du vieux Marx au « jeune Gorz »:  d’abord celui des « réformes révolutionnaires », c'est-à-dire des mesures qui ne peuvent pas être cooptées par le système car leur fondement et leur mise en œuvres dépendent du monde vécu.  
Mais cette opposition entre système et monde vécu — qui est aussi celle qui distingue la perspective de l’analyste situé en dehors de la société étudiée et celle du participant (ce que Gorz souligne dans l’interview avec Touraine de 1979, repris dans Fourel, André Gorz en personne) — soulève un problème ignoré par le « convivialisme » mais reconnu par le « mature Gorz » (en accord avec Habermas[1]) :  le système, dans la figure de l’état politique,  n’est pas simplement aliéanant ; le droit égal pour tous protège la liberté singulière et subjective de chacun.  Autrement dit : le convivialisme tout seul ne peut pas nous faire sortir du capitalisme, du moins pas pour autant que celui-ci n’est pas fondé uniquement sur des rapports de force imposés de l’extérieur. 
L’autonomie est certes une valeur fondamentale, mais elle ne peut pas exister tout seule ; elle n’est pas sans limites et elle n’existe pas dans je ne sais quel état de nature ni comme une valeur absolue au delà des contraintes non seulement de notre finitude mais de notre con-vivialité, car nous vivons toujours avec les autres dans un monde que nous n’avons pas crée.
b)  Je devrai ici soulever quelques uns de mes problèmes avec Gorz à proposdu politique (ce qui pose aussi la question de la souveraineté que les Américains rejettaient, comme je l’indiquais ci-dessus) :  Tout existentialiste qu’il était, et malgré le fait que ses analyses depuis son début, avec le Traîtrepuis La morale de l’histoire, étaient fondés par appel à la théorie de l’aliénation, Gorz avait tendance à démontrer une nécessité systémique de sortir du capitalisme.  Bien sûr, il ne s’agissait pas d’une nécessité imposée par un quelconque variant du matérialisme historique ; au début, c’était plutôt une sorte de reprise du défi hégélien (repris par le jeune Marx mais exprimé d’abord dans la Philosophie de droit du philosophe de Berlin) :  hic Rhodus, hic salta, voici la rose, c’est ici qu’il faut danser.  Plus tard, cette nécessité était exprimée par l’alternative posée par Rosa Luxemburg (que Gorz ne cite pas à ma connaissance) :  socialisme ou barbarie.
c)  En conclusion, je reviens à une autre leçon qui ressort de la comparaison des deux révolutions.  La séquence historique qui fonde la politique de gauche depuis 1789, 1793, 1830, 1848, 1870… pour aboutir en 1917 comporte aussi un élément positif :  au delà d’un étatisme tendenciellement totalitaire, cette séquence prévient contre ce que j’appelle l’antipolitique.  Il ne s’agit pas ici, par ailleurs, d’une spécificité moderne ou française, car l’antipolitique s’enracine déjà chez Platon.  Il s’agit d’une vision d’une politique qui mettra fin une fois pour toutes du besoin du politique.  Il n’y aurait plus de contradictions, plus d’exploitation, plus d’aliénation ; la société bon serait… dans un sens déformé du concept dont nous parlons :  « conviviale » ! 
d)  Cette erreur antipolitique est une des raisons qui expliquent pourquoi je ne vois pas de bonne traduction anglaise du terme « convivialisme »…et qui me fait hésiter à l’appliquer dans mes conversations en langue anglaise…  Cela ne met pas en question l’analyse proposée dans le « Manifeste convivialiste », mais il ne s’agit que d’une analyse,  Reste à trouver son complément politique, une nécessité que Marx avait tout de même compris quelles que soient les limites de ses propres thèses.


[1] Je me réfère à Habermas car il s’agit d’un problème auquel nous sommes revenus souvent dans notre correspondance par rapport aux theses du penseur de Francfort. 

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