quinta-feira, 19 de abril de 2012

Pour George Soros, "les dirigeants européens mènent l'Europe à sa perte"


Économie


"Si je devais investir, je parierais contre l'euro", déclare le financier George Soros, ici à Hong Kong, en février 2010.
"Si je devais investir, je parierais contre l'euro", déclare le financier George Soros, ici à Hong Kong, en février 2010. | AFP

Pour George Soros, "les dirigeants européens mènent l'Europe à sa perte"

LE MONDE | 18.04.2012 à 15h07 • Mis à jour le 18.04.2012 à 17h22

De passage à Paris, le financier George Soros livre ses réflexions sur la crise de la zone euro. Il fustige le poids de la Bundesbank et appelle à un changement politique radical. Visionnaire pour certains en raison de ses critiques du capitalisme, spéculateur sans scrupules pour d'autres après son raid contre la livre sterling en 1992, il développe ces propos dans son dernier ouvrage, Le chaos financier mondial (Presses de la Cité, 215 pages, 18 euros).
Quel regard portez-vous sur l'élection présidentielle française ?
Je ne vous dirai pas pour qui je voterais si j'étais Français ! Je pense que ce scrutin peut faire une différence en permettant une inflexion de la politique française, quel que soit le candidat élu. La France est dans une situation précaire : le marché du travail doit être assoupli, l'âge du départ à la retraite encore relevé, comme en Allemagne qui reste un modèle sur ce point. La France est vraiment en retard.
Cela dit, la politique européenne reste clairement entre les mains de l'Allemagne. Si François Hollande est élu, il lui sera difficile de s'éloigner de la ligne allemande. Une remise en cause de l'orthodoxie financière pourrait exposer le pays à une attaque des marchés.
Etes-vous inquiet de la situation actuelle de la zone euro ?
Je crains que la politique des dirigeants actuels ne mène à un désastre. L'euro menace de détruire l'Union européenne et avec les meilleures intentions, les dirigeants sont en train de mener l'Europe à sa perte en essayant de préserver et d'imposer des règles inappropriées. Et ceux qui jugent la situation intolérable sont désormais tentés par une positon antieuropéenne.
Même si l'euro survit, l'Europe a devant elle une période de grandes difficultés. Elle pourrait être similaire à ce qui est arrivé à l'Amérique latine après la crise de 1982 - une décennie perdue - ou au Japon, qui voit la croissance stagner depuis vingt-cinq ans. Ces pays ont tout de même survécu, mais l'Union européenne n'est pas un pays et je crains qu'elle n'y survive pas.
A quelles règles inappropriées faites-vous référence ?
Les traités de Maastricht et le traité de Lisbonne ont donné de profonds défauts à l'euro. Le premier est connu de longue date : il n'y a pas de Trésor commun, permettant d'emprunter au niveau européen. Mais surtout, et les dirigeants en étaient moins conscients, l'introduction de l'euro a créé de la divergence au lieu d'instaurer de la convergence.
La crise ayant démarré en 2008 a engendré des situations d'endettement et de déficit très éloignées des critères de Maastricht. Les pays les plus fragiles de la zone euro ont découvert qu'ils sont dans une situation de pays du tiers monde, comme s'ils étaient endettés dans une monnaie étrangère. Avec à la clé de réels risques de défaut. Essayer de faire respecter des règles qui n'ont pas fonctionné n'a fait empirer la crise. Malheureusement, les autorités ne le comprennent pas. Elles font trop peu, trop tard et la crise s'amplifie. Pour la première fois, il est désormais possible que l'euro éclate.
L'action de la BCE trouve-t-elle grâce à vos yeux ?
Mario Draghi a lancé une mesure hors du commun avec les 1 000 milliards de liquidités injectés dans le système à travers ses prêts à trois ans. Mais les effets de cette opération ont été cassés par la contre-attaque menée par la Bundesbank [la banque centrale allemande]. Vu l'augmentation de la taille du bilan de la BCE, la Bundesbank s'est aperçu qu'elle encourait de lourdes pertes si jamais l'euro venait à éclater et s'oppose donc à la poursuite de cette politique afin de se protéger. Espérons que cela ne soit pas une prophétie auto-réalisatrice...
Quelles sont vos pistes pour sauver la zone euro ?
La crise peut être stoppée à tout moment. Mais il faut pour cela que les autorités réalisent qu'à situation extraordinaire, il faut des réponses extraordinaires, "out of the box"("hors de la boîte"). Mais les règles ont besoin d'être changées pour être sûr que le système ne ressorte pas de sa boîte.
Une proposition radicale serait de créer une holding à travers la BCE, où les Etats transféreraient 2 000 à 3 000 milliards d'euros d'obligations et n'auraient plus à payer d'intérêt. Ce qui donnerait une bouffée d'air à certains pays fragiles : l'Italie n'aurait plus besoin d'un excédent primaire s'élevant à 3 % du produit intérieur brut pour réduire sa dette. Il faudrait également un agenda de croissance pour la zone euro. Il est impossible de réduire la dette en faisant plonger la croissance économique.
La Grèce est-elle condamnée à sortir de l'euro ? L'Espagne et l'Italie doivent-elles être aidées ?
La Grèce a peut-être intérêt à quitter l'euro, car sa situation semble désormais au-delà de ce qui est réparable. L'Espagne, elle, est en train d'être poussée dans la situation de la Grèce. Le gouvernement de Mariano Rajoy savait sa tâche impossible, il avait demandé à Bruxelles d'étaler dans le temps la réduction de son déficit, mais Bruxelles n'a pas voulu, et aujourd'hui les marchés punissent l'Espagne d'avoir révélé ses faiblesses. Quant à l'Italie, Mario Monti mène les bonnes réformes, mais il commence à perdre le soutien de ses concitoyens.
Pourquoi les dirigeants européens n'agissent-ils pas ?
Le problème est en Allemagne, car l'opinion publique fait confiance à la Bundesbank. Cette dernière représente un des plus grands succès du pays, elle lui a permis d'avoir une monnaie forte. La Bundesbank domine la politique européenne, mais elle mène une action bonne pour l'Allemagne, pas pour l'Europe. Car l'Allemagne est un pays florissant, il bénéficie de la crise de l'euro, du taux de change bas de l'euro par rapport à la force de son économie, et de taux d'intérêt très bas pour financer sa dette.
Ce n'est pas une raison pour ne pas regarder certains problèmes en face, pour trouver des excuses à la Grèce, pour ne pas mener en France des réformes structurelles comme celles ayant été prises par le passé en Allemagne. Ces réformes ne sont cependant pas suffisantes. L'Allemagne les a introduites quand le reste de l'Europe était dans un cycle de croissance, tandis que les autres pays européens les mènent dans une conjoncture mondiale déprimée.
Vous avez longtemps spéculé sur les monnaies. Si c'était à refaire, seriez-vous prêt à parier contre l'euro ?
Je suis désormais à la retraite, et mon fonds Quantum ne possède pas de position en euro. Mais tant qu'il n'y a pas de changement parmi les dirigeants européens, si je devais investir, je parierais contre l'euro. Ou en tout cas, je ne miserais pas dessus.
Certains pays voient monter l'extrême-droite. Cela vous inquiète-t-il ?
C'est ce qui me dérange le plus : la recherche de solutions nationales prend de plus en plus d'ampleur, ce qui peut détruire l'Union européenne. L'Europe a des problèmes très sérieux, mais il faut y trouver une solution européenne.
Comment jugez-vous la santé du secteur bancaire européen ?
La situation reste très sérieuse, car liée à la crise des dettes souveraines. La recapitalisation des banques doit se poursuivre, et en cela le Mécanisme européen de stabilité (le nouveau fonds d'aide permanent de la zone euro) peut être utile. Il faut surtout introduire un vrai contrôle européen sur les banques, car il y a trop de relations incestueuses entre les banques et les gouvernements nationaux. Tout particulièrement en France, avec les "inspecteurs des finances" (en français dans le texte.)
Clément Lacombe et Audrey Tonnelier

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