segunda-feira, 14 de janeiro de 2008

En réponse au dossier intitulé "The death of French culture" paru début septembre dans le magazine Time :

En réponse au dossier intitulé "The death of French culture" paru début septembre dans le magazine Time :

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Par Olivier Poivre d'Arvor,
directeur de Culturesfrance


Chers amis américains, chers lecteurs de l’édition (européenne)
de l’hebdomadaire Time,

En ce début d’année, comment ne pas émettre de vœux ? Un souhait ardent que nous déposons à vos pieds sous la forme de cette petite lettre recommandée ! Celui de nous offrir aussi souvent que possible un cadeau de l’importance de cette magnifique couverture du Time, prenant prétexte de la mort de Marcel Marceau, avec un mime larmoyant en couverture ? Et un titre sans appel pour un enterrement de première classe : "La mort de la culture française". La mort, vous avez bien dit, même pas le déclin, terme qui nous est pourtant familier. Non, la mort, avez-vous dit, écrit, titré à la face de ce Vieux Continent qu’est l’Europe. C’est un mot fort.

Il est vrai que depuis quelques années, de la France, en matière de culture, faute d’en parler la langue, ce sont nos artistes silencieux qui ont fait du bruit chez vous : le mime Marceau, les silences abyssaux du commandant Cousteau, nos chorégraphes, nos circassiens… Nous résistons, avec nos moyens, notre sublime aphonie, notre gêne bégayée, au chahut, au brouhaha du monde, mais nous aimerions bien, encore un peu, modestement, à la française, vous impressionner. Nous faire entendre, pousser quelques cris, une ou deux colères. L’entreprise n’est pas simple, quand, avec vos puissantes industries culturelles, vos machines planétaires à projeter les images, les sons, les logiciels, les désirs, vous êtes, sinon aimés, du moins respectés un peu partout dans le monde depuis cinq à six bonnes décennies.

Ainsi, l’idée vous est venue, un peu cruelle tout de même quand on a déjà tant de monopoles et un tel empire, de titrer sur la mort de la culture française. C’est exagéré, bien entendu, vous le savez. Imaginez qu’un hebdomadaire français ait fait sa couverture récemment, à l’occasion de la disparition du grand écrivain Norman Mailer, avec comme titre : "La mort de la culture américaine" !

L’argument ne vaut guère. Vous savez bien qu’il y aura toujours des coquins dans l’Hexagone pour dire que la différence entre nos deux pays tient au fait que neuf Français sur dix savaient qui était Marcel Marceau, alors que seulement un Américain sur dix avait entendu parler de Norman Mailer. Et d’autres plus coquins encore pour affirmer que Mailer était plus connu en Europe qu’aux Etats-Unis. Ils n’ont pas, avouez-le, chers amis, complètement tort : Woody Allen, William Klein, Philip Roth, Paul Auster et tant d’autres créateurs américains font de meilleurs "box-office" dans ce pays à la culture soi-disant moribonde qu’aux Etats-Unis… Sans doute, nous direz-vous, parce que nos artistes français ne sont pas à la hauteur et que notre public, familier des constructions cérébrales, se tourne vers des talents d’ailleurs.

Vous nous connaissez, nous les incorrigibles partisans de la diversité culturelle ! Nous avons, à l’annonce de la disparition de la culture française, voulu réagir plutôt que de nous complaire au silence de la tombe dans laquelle vous nous aviez précipités. Un mois durant, ce joli mois de décembre, partout, dans les journaux, les radios, les télévisions, les dîners en ville, les réactions, outragées souvent, ont fusé. Quelques aimables traîtres, parfois talentueux, ont brisé ce pacte sacré, confirmant l’hypothèse, accusant l’Etat et ses soi-disant antennes de propagande, sa "culture officielle", d’avoir favorisé cette mort clinique. Ils l’ont fait, par dépit, histoire de faire une pirouette, de trancher sur la pensée unique, la parole consacrée. Ils l’ont fait, également, et ils n’ont pas eu tort, par admiration pour la création outre-Atlantique.

Ne voulant pas mettre nos amis du Time dans l’embarras – car enfin, le Time, ce n’est pas les Etats-Unis à soi seul, surtout quand vous nous reléguez à l’édition européenne : ce détail n’a pas été assez souligné –, nous avons renoncé à publier des témoignages américains contredisant cette hypothèse. Bob Wilson, Peter Sellars auraient bien volontiers écrit d’aimables choses sur la capacité française – et donc sur les mécanismes de subventions publiques – de produire leurs spectacles, de même que bien des chorégraphes américains auraient loué la passion française pour leurs œuvres. Je retiens encore la lettre que William Christie aurait écrite pour nous dire son choix, lui l’Américain, de la France, de ses institutions éclairées, de son public pour y faire sa magnifique carrière. Nous avons, sous la main, abondance de témoignages de ce genre. Si après la mort, chers amis américains, vous nous concédez le droit à un procès en bonne et due forme, nous produirons ces documents en séance. Et gardez vous d’appeler à la barre de supposés alliés, Britanniques, pour nous condamner à mort : nous ferons témoigner Peter Brook, Julian Barnes, William Boyd, Charlotte Rampling, Jane Birkin et quelques dizaines d’autres Britons francophiles pour notre défense.

Depuis quelques semaines, tous les arguments, à dire vrai, ont été jetés sur la table de discussion (à supposer qu’il y ait encore matière à débat, pour vous, chers amis américains). Par exemple :
- on ne peut confondre culture et balance commerciale ; on ne peut résumer l’art par le marché de l’art, la qualité d’une œuvre à la consommation culturelle. Les exemples abondent d’artistes reconnus par le temps. Une œuvre, c’est un travail en profondeur, dans la durée ; la reconnaissance vient souvent post mortem, très tard.
- la culture ce n’est pas seulement le passeport des créateurs, mais la capacité d’un pays à accueillir les cultures des autres : la France a une sacrée longueur d’avance, elle qui accueille sur son territoire tant de créateurs du monde entier. Bien des films d’Almodovar, de Kusturica, sans parler ceux des cinéastes africains, sont co-produits par notre pays…
- la culture française est à ce titre largement métissée : de Manu Chao à Youssou N’Dour, des artistes qui ne chantent pas nécessairement en français font des succès mondiaux et ont des liens forts avec notre pays (où ils sont souvent produits, où ils vivent en partie). La France est aussi une terre de découverte en matière éditoriale : chaque année, près de la moitié des romans parus en France sont des traductions.
- la France, et l’Europe en général, représentent un vivier extraordinaire de publics pour la culture et abritent probablement la plus grande densité de créateurs et de penseurs au monde. Michel Serres, René Girard, Julia Kristeva font autorité dans bien des universités américaines…
- la France, c’est aussi un combat, au premier rang desquels celui pour la diversité culturelle, qui a fait l’objet d’une convention signée en 2005 à Paris par plus de 140 pays dans le monde… Une manière de justifier les mesures fortes et protectrices de ces vingt dernières années : prix unique du livre, quotas pour la chanson, avance sur recettes pour le cinéma… Autant de mesures qui ont permis de garder de bonnes parts pour le marché national (50 à 60% pour notre cinéma, 60 millions d’entrées dans le monde…).
- la culture, ce n’est pas que les industries culturelles. C’est aussi la capacité de développer de nouvelles formes. A ce titre, on doit à la France d’avoir largement renouvelé l’univers de la danse contemporaine, les arts du cirque et de la rue. Ces artistes sont demandés dans le monde entier et font des cartons : récemment à Santiago du Chili, Royal de Luxe a mis un million de personnes dans la rue, Bartabas et Zingaro sont adulés, etc, etc…
- les Etats-Unis, malgré les apparences, ne sont pas le seul pays prescripteur. Le cas de l’architecture française est patent. Quand Paul Andreu construit le Grand Théâtre de Pékin, quand Jean Nouvel a des projets au Brésil ou, comme Jean-Michel Wilmotte très international également, dans les pays du Golfe, quand Christian de Portzamparc travaille à Rio de Janeiro, quand Dominique Perrault a des chantiers en Russie, ils travaillent dans des pays, qui sous peu, vont représenter de très importants « marchés » culturels… Prenons garde de n’être pas myope.
- Des "stars mondiales" qui touchent des millions de spectateurs, nous en avons, même si elles ne sont pas subventionnées par les pouvoirs publics : Yann Arthus-Bertrand, Yasmina Reza, Philippe Starck, Daft Punk, Nathalie Dessay…
- Si nos créateurs et intellectuels avaient perdu pied aux Etats-Unis après guerre, on assiste à un retour de ceux-ci, et y compris de galeries françaises, sur la scène américaine : des traductions des livres de Bernard-Henri Lévy à la monographie de Daniel Buren au Guggenheim en passant par la présence française à la foire d’Art Basel Miami, les nouvelles sont plutôt bonnes.
- Faute de faire monter les enchères, nous glanons les prix et la reconnaissance internationale. Pour les plasticiens avec Daniel Buren et Christian Boltanski, les deux derniers lauréats du Premium Imperiale, Annette Messager avec le Lion d’Or de la Biennale de Venise…
- Doit-on exclure du champ de l’art et de la culture les stylistes de mode : Christian Lacroix, Azzedine Alaïa, Jean-Paul Gaultier et tant d’autres sont des stars mondiales… Les industries du luxe tout comme les chefs étoilés du guide Michelin sont perçus, à l’étranger, comme témoignant de la vitalité de la "culture" française, de son savoir-vivre.
- Dites Pierre Boulez ou Ariane Mnouchkine aux quatre coins du monde : partout ceux qui aiment la musique ou le théâtre vous diront qu’il s’agit là de créateurs hors pair…
- On terminera par une citation de Jean-Luc Godard : "La culture, c’est la norme, l’art c’est l’exception".

On retiendra de ces arguments jetés pêle-mêle que les réponses sont diverses, et qu’avec un peu plus de raisonnement, de sens d’analyse et un peu moins de théorie à quatre sous, nos amis américains nous concéderont un certain talent à maintenir le feu sacré, malgré la taille modeste de notre territoire, la relative importance de notre population.

Certes, le cadeau du Time était inespéré. Mettre en Une des préoccupations de leurs lecteurs la culture française plutôt que des questions d’intérêt mondial. Notre quart d’heure de gloire ! L’occasion de rappeler à nos compatriotes que rien n’est jamais acquis, qu’il faut se battre, y compris chez nous, pour réaffirmer le poids de cette culture, la vertu des influences. Une manière de réintéresser la classe politique, les médias, les professionnels culturels, le grand public à ce sujet d’exception…

Rien ne sert, de toute manière, de se justifier.

Les faits sont là. A la question de la une du journal : "Connaissez-vous un artiste français vivant ?", on regrette que ne soit pas liée la promesse d’une récompense pour toute citation d’un éventuel survivant. L’appât du gain nous aurait fait ouvrir notre carnet d’adresses. Qu’importe. La cause méritait qu’on se mobilise. Nous avons demandé à des centaines de partenaires culturels dans près de 80 pays dans le monde de nous citer, dans leur domaine, il va de soi, des "stars mondiales" qui seraient françaises. En voilà la liste, incomplète, il va de soi, provisoire. Conscients de nos oublis, travaillant dans l’urgence, nous l’actualiserons au fur et à mesure de l’avancement du chantier. Déjà de nouveaux apparaissent.

Nous avions songé un temps à prendre une page de publicité dans l’hebdomadaire américain pour publier cette liste des "stars à la française". Mais à la gêne qu’il y aurait à payer fort cher pour obtenir un droit de réponse s’est ajouté un problème bien simple et tout à fait réjouissant. Jamais dans la maquette d’une seule page, nous ne pouvions faire tenir tout ce beau monde. Le carnet d’adresses s’était révélé une véritable pêche miraculeuse.

C’est ainsi, chers amis américains, que nous avons décidé de vous offrir, sous la forme de frises, une liste bien entendu fort incomplète de créateurs, de femmes et d’hommes de culture venus de France et qui rayonnent de la meilleure manière dans le monde entier. Pour vous permettre à tout moment, en pensant au décalage horaire, de joindre l’un ou l’une d’entre elles. Pour vous éviter la fois prochaine de gâcher une couverture par une fausse bonne nouvelle, par un canular finalement assez sympathique et très stimulant.


Olivier Poivre d’Arvor

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