quarta-feira, 2 de maio de 2012

"Les médias sont plus faibles et moins prescripteurs"


Jean-Louis Missika : "Les médias sont plus faibles et moins prescripteurs"

LE MONDE TELEVISION |  • Mis à jour le 
Dans un entretien au "Monde Télévision", Jean-Louis Missika, sociologue desmédias, membre du Conseil de Paris et adjoint au maire chargé de l'innovation, de la recherche et des universités, analyse les rapports entre la télévision et les politiques au cours de cette campagne présidentielle.



De nombreux médias ont expliqué que cette campagne électorale était vide et ennuyeuse. Qu'en pensez-vous ? Je ne crois pas qu'elle soit ennuyeuse. Le temps médiatique a tendance à générer l'oubli. Il faut donc se souvenir que cette campagne a démarré très tôt, en septembre, avec la primaire socialiste, qui a suscité une immense curiosité. Elle a fait participer les électeurs de gauche au choix de leur candidat, elle a alerté l'ensemble des électeurs sur l'échéance présidentielle et permis à François Hollande d'engager sa campagne bien avantNicolas Sarkozy. Le grand succès d'audience des débats de cette primaire a prouvé qu'il existe un intérêt des Français pour la politique. Et la participation électorale au premier tour le confirme.
La télévision a-t-elle joué son rôle ? Oui. La couverture de la primaire a montré qu'en cinq ans le paysage audiovisuel a beaucoup changé avec la croissance des chaînes info en continu. Elles ont obligé les chaînes traditionnelles à consacrerplus de temps aux événements politiques.
Le problème est que les chaînes tout info en veulent toujours plus, et, pour faire de l'audience, elles créent et survendent elles-mêmes des événements, même si cela ne se justifie pas. Elles sont dans l'instantané, à la différence d'un "20 heures" qui peut se préparer tout au long de la journée, et elles usent les thèmes et les sujets. Cela contribue à la volatilité de l'agenda politique. Si les thèmes changent trop vite et trop souvent, le grand public a beaucoup de mal à suivre la campagne et à seforger une opinion. Ce phénomène a été amplifié par la personnalité de Nicolas Sarkozy, qui a fait de l'imprévisibilité une stratégie.
Est-ce que Twitter, très utilisé par les candidats et le grand public, a joué un rôle de contre-pouvoir ? Twitter génère un climat d'opinion instantanée. Il anticipe les sondages et offre un aperçu des réussites et des échecs des candidats dans leurs initiatives de campagne. Les réseaux sociaux accentuent cette impression de temps réel, de vitesse et d'oubli que l'on ressent avec les chaînes info.
Entre la télévision, Internet et les réseaux sociaux, peut-on dire qu'il y a une convergence des médias ? Il y a surtout une convergence entre le message et la réaction au message. Comme si le temps de l'imprégnation et de la mise à distance de l'information devait absolument disparaître. Chaque événement chasse l'autre, l'oubli fait partie du jeu, la délibération politique s'efface au profit de la sensation politique.
C'est ce qui s'est passé avec l'affaire Mohamed Merah ? Oui. Cette affaire a occupé la totalité de l'espace médiatique pendant une dizaine de jours. Les chaînes info ont mis la France sous tension. Tout le monde s'interrogeait sur les effets de cet événement sur la campagne, la transformation des thèmes, l'émergence du terrorisme et de l'insécurité au coeur du débat. Puis les médias sont passés rapidement à autre chose. On voit bien avec cette affaire que la fonction d'agenda des médias s'est profondément transformée.
Il n'existe plus une communauté de journalistes politiques suffisamment forte pourimposer un thème de campagne. Les médias sont plus faibles et moins prescripteurs. Chaque candidat développe ses sujets ; cela donne une campagne plus chaotique et sans colonne vertébrale.
En produisant eux-mêmes les reportages, les candidats ont privatisé leur image. N'y a-t-il pas un danger pour l'information ? Le très grand nombre de cameramen et de photographes qui suivent un candidat rend les déplacementsdifficiles, voire dangereux. Et les images sont parfois peu "présidentielles". D'où la décision des candidats qui en ont les moyens de produire leurs propres images. Une image propre, standard, signifiante, contrôlée. Oui, il y a un risque.
Comment les chaînes peuvent y résister ? C'est très difficile, car un jeu subtil s'instaure entre journalistes et communicants. L'accès aux coulisses d'un événement est souvent une contrepartie, comme l'exclusivité ou le contact direct avec le candidat. Mais quand une équipe de télévision accède aux coulisses, celles-ci deviennent une scène, et le jeu continue. C'est une mise en abyme. Les journalistes qui suivent un candidat ont l'impression d'entendre toujours le même discours. Par lassitude, ils peuvent négliger les enjeux de substance pour l'anecdote. Ils cherchent une histoire derrière l'Histoire. Et il y en a toujours une.
Est-ce une des conséquences de la télé-réalité ? Oui, c'est un effet de halo de la télé-réalité sur la sphère politique. On privilégie la parole volée ou la mauvaise posture du candidat au détriment de son engagement. Parfois, c'est intéressant, car se révèle une personnalité. Lorsque François Hollande se fait enfariner, il reste flegmatique. De son côté, Nicolas Sarkozy craque au Salon de l'agriculture avec son désormais célèbre "Casse-toi, pov' con !". Les télévisions accompagnent une opinion publique qui s'intéresse de plus en plus aux caractères, à la frontière du psychologique et du politique.
Il pèse toujours un soupçon sur les médias de service public, dont les PDG ont été nommés par le président de la République. Or, Nicolas Sarkozy les accuse aujourd'hui de partialité. Cette loi s'est-elle retournée contre son auteur ? Cette loi est fondée sur un étrange argument : sortir de l'hypocrisie, parce que, avant, le président se cachait derrière le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) pour faire ces nominations. Pour développer la démocratie, il suffisait de créer une commission de nomination indépendante et faire valider son choix par une majorité des deux tiers au Parlement. Si les journalistes du service public cherchent à montrer qu'ils ne sont pas aux ordres du pouvoir, qui pourrait le leur reprocher ?
Il y a aussi le langage des éditorialistes comme Franz-Olivier Giesbert, qui est de plus en plus débridé. Comment l'expliquez-vous ? Il faut dire que le président de la République a montré l'exemple, tout comme quelques-uns de ses ministres. C'est un signe des temps. Le vocabulaire s'appauvrit, la syntaxe se relâche, l'excès de langage devient banal. La vulgarité des élites, c'est un peu comme le porno chic, un effet de mode.

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