Le sujet :
Expliquez le texte suivant :
« Parce que les actes humains pour lesquels on établit des lois consistent en des cas singuliers et contingents, variables à l’infini, il a toujours été impossible d’instituer une règle légale qui ne serait jamais en défaut. Mais les législateurs, attentifs à ce qui se produit le plus souvent, ont établi des lois en ce sens. Cependant, en certains cas, les observer va contre l’égalité de la justice, et contre le bien commun, visés par la loi. Ainsi, la loi statue que les dépôts doivent être rendus, parce que cela est juste dans la plupart des cas. Il arrive pourtant parfois que ce soit dangereux, par exemple si un fou a mis une épée en dépôt et la réclame pendant une crise, ou encore si quelqu’un réclame une somme qui lui permettra de combattre sa patrie. En ces cas et d’autres semblables, le mal serait de suivre la loi établie ; le bien est, en négligeant la lettre de la loi, d’obéir aux exigences de la justice et du bien public. C’est à cela que sert l’équité. Aussi est-il clair que l’équité est une vertu.
L’équité ne se détourne pas purement et simplement de ce qui est juste, mais de la justice déterminée par la loi. Et même, quand il le faut, elle ne s’oppose pas à la sévérité qui est fidèle à l’exigence de la loi ; ce qui est condamnable, c’est de suivre la loi à la lettre quand il ne le faut pas. Aussi est-il dit dans le Code1 : « II n’y a pas de doute qu’on pèche contre la loi si, en s’attachant à sa lettre, on contredit la volonté du législateur ».
II juge de la loi celui qui dit qu’elle est mal faite. Mais celui qui dit que dans tel cas il ne faut pas suivre la loi à la lettre, ne juge pas de la loi, mais d’un cas déterminé qui se présente. »
L’équité ne se détourne pas purement et simplement de ce qui est juste, mais de la justice déterminée par la loi. Et même, quand il le faut, elle ne s’oppose pas à la sévérité qui est fidèle à l’exigence de la loi ; ce qui est condamnable, c’est de suivre la loi à la lettre quand il ne le faut pas. Aussi est-il dit dans le Code1 : « II n’y a pas de doute qu’on pèche contre la loi si, en s’attachant à sa lettre, on contredit la volonté du législateur ».
II juge de la loi celui qui dit qu’elle est mal faite. Mais celui qui dit que dans tel cas il ne faut pas suivre la loi à la lettre, ne juge pas de la loi, mais d’un cas déterminé qui se présente. »
Thomas d’Aquin, Somme théologique
Le corrigé
Ce texte aborde la question très classique de la différence entre le légal et l’équitable, dans la lignée d’Aristote, entre suivre à la lettre la loi et l’esprit de la loi. La difficulté de ce texte vient du fait qu’il est très difficile de contester la thèse de l’auteur. Sur le fond : la stricte et aveugle application de la loi peut en effet être néfaste et même contraire à son but. Mais d’un autre côté, accepter une application au cas par cas, c’est aussi poser le problème de l’évaluation de ce cas, qui peut être sujette à différentes interprétations, et par là source de difficulté. Le cas du combattant de la patrie, de celui qui veut lui porter atteinte, est en ce sens intéressant. On ne lui remet pas une somme d’argent mise en dépôt et due (selon la loi) mais dans ce cas, c’est pour la défense de l’Etat (ce qui reste fidèle à l’esprit de la loi) mais empêche cet homme de faire ce qui pourrait lui apparaître moral, l’être. Une égalité devant la loi lui aurait permis d’agir et peut-être de renverser un Etat, ne défendant pas le bien public, même si l’ordre y règne. De même, comment évaluer les intentions ou le degré de folie des hommes…?
Lignes 1-3 / Rappel de la nature des actes humaines particuliers, contingents car œuvre de la liberté : donc le comportement ne peut être ramené à des lois universelles, comme pour des phénomènes naturels.
D’où lignes 3-11 / Conséquences de cela : malgré une attention aux comportements humains de la part du législateur, il y a forcément des cas non envisagés où l’application de la loi serait préjudiciable ; bien que par ailleurs, le principe d’égalité soir juste (à développer). Exemple des dépôts (lignes 5-8) face au fou et à l’opposant politique, comme danger pour l’Etat, le Bien public. Ces deux exemples justifient la transgression de la loi.
Ligne 1 à la fin / Saint Thomas d’Aquin reprend sa thèse en précisant qu’il ne s’agit nullement de revenir sur d’autres points :
⁃ la sévérité dans l’application de la loi ; même intransigeance selon les principes d’égalité
⁃ la nature de la loi qui reste « bien faite » même si dans ce cas précis, son application à la lettre s’avère néfaste
⁃ il n’est pas question de sortir de la loi ou de remettre en question la légalité = l’équité fait partie de la justice légale
Conclusion : Donc pas de remise en question de la loi en elle-même ; on pourrait ici rapprocher peut-être de Rousseau (la loi est expression de Volonté Générale et donc toujours droite même si elle peut être dans l’erreur), et surtout d’Aristote, repris ici (la loi n’en est pas moins sans reproche car la faute n’est pas à la loi).
On pourrait aussi souligner que le Bien public peut aussi exiger que l’on transgresse la loi, quand la loi elle-même le menace. Dans ce sens, Saint Thomas d’Aquin reconnaît que si le droit naturel est bafoué, on peut transgresser la loi, la légalité.
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