Extrait d’un texte de Bergson
Notre conscience nous avertit […] que nous sommes des êtres libres. Avant d’accomplir une action, quelle qu’elle soit, nous nous disons que nous pourrions nous en abstenir. Nous concevons […] divers motifs et par conséquent diverses actions possibles, et après avoir agi, nous nous disons encore que, si nous avions voulu, nous aurions pu autrement faire. – Sinon, comment s’expliquerait le regret d’une action accomplie ? Regrette-t-on ce qui ne pouvait pas être autrement qu’il n’a été ? Ne nous disons-nous pas quelquefois : « Si j’avais su, j’aurais autrement agi ; j’ai eu tort. » On ne s’attaque ainsi rétrospectivement qu’à des actes contingents ou qui paraissent l’être. Le remords ne s’expliquerait pas plus que le regret si nous n’étions pas libres ; car comment éprouver de la douleur pour une action accomplie et qui ne pouvait pas ne pas s’accomplir ? – Donc, un fait est indiscutable, c’est que notre conscience témoigne de notre liberté.
Le corrigé
Questions
1. la thèse que soutient ici Bergson, c’est que nous savons que nous sommes libre parce que lorsque nous agissons, nous avons le sentiment que nous pourrions agir autrement, faire un autre choix en tenant compte d’autres mobiles ou raisons d’agir. Le choix que nous savons avoir est donc le signe de notre liberté et comme notre conscience accompagne ce choix, nous prenons conscience de notre liberté. Liberté que confirme le retour sur nos choix. Là encore nous disons que nous aurions pu choisir autrement et la culpabilité qui peut accompagner nos choix passés est la marque de notre sentiment de responsabilité. Sentiment que nous ne pouvons pas avoir quand nous nous savons non libres, que nous savons nos actes nécessaires. On ne peut pas se sentir coupable d’être tombé à partir du moment où la chute a commencé, c’est une loi physique qui explique cela, par contre, on peut se sentir coupable, si on survit, de s’être ainsi jeté alors que d’autres alternatives étaient possibles, sans doute. La responsabilité est le signe d’une liberté assumée.
2. a) La délibération qui accompagne nos choix souligne que plusieurs possibilités nous sont offertes, on a le choix et différents motifs nous poussent d’un côté ou de l’autre. Nous expérimentons notre pouvoir de prendre parti et le fait que les motifs ne sont pas des causes en elles-mêmes mais des raisons qui n’auront que le poids que nous leur donnons. C’est donc l’expérience de ce que Descartes appelait le libre-arbitre, de la volonté que nous expérimentons. Et quand nous revenons sur nos choix, c’est face à notre responsabilité que nous nous retrouvons.
b) Une responsabilité qui disparaît quand nous sommes face à des actes non contingents, c’est-à-dire nécessaires, dont nous savons qu’ils ne pouvaient pas être autrement qu’ils ont été. Mais comme le souligne Bergson, cette contingence ne peut être qu’apparente: il se peut donc que le libre arbitre soit une illusion, cela n’empêchera pas que nous nous sentions libres et pensions libres (on peut ici penser à l’illusion du libre-arbitre critiquée par Spinoza, même si la liberté peut être comme compréhension et acceptation de la nécessité – d’ailleurs c’est plutôt en ce sens que Bergson pense la liberté comme opposé à l’hétéronomie et comme coïncidence avec ce que nous sommes)
c) Le remord et le regret ne peuvent en effet être sans sentiment de liberté, et par là de responsabilité. Se savoir déterminé, contraint abolit ses sentiments, c’est plutôt de la tristesse ou de la colère que l’on va ressentir comme une victime impuissante.
Notre conscience témoigne-t-elle de notre liberté ?
N’avons-nous pas immédiatement grâce à notre conscience un sentiment de liberté plus ou moins grand ? Ce sentiment est-il confirmé par un examen de conscience approfondi sur nous-mêmes ? Ou cet examen est-il la condition pour que l’on devienne libre ?
I. Si on s’en tient à la conscience immédiate, on peut avoir un sentiment mitigé face à la question de notre liberté (reprise de la thèse de Bergson pour le A concernant la liberté intérieure de choix).
A. D’un côté on se sent intérieurement libre car on a des choix à faire, on sent que face à ses choix, on est seul. De plus, comme on choisit souvent en fonctions de nos désirs et valeurs, on a le sentiment que l’on choisit ce que l’on veut, ce qui nous correspond donc qu’on est libre. De même, on a l’impression d’être maître de nos choix et on prend conscience qu’ils dépendent de nous et nous les considérons comme nôtres, d’où regret et remord.
B. D’un autre côté, on sent aussi que des limites multiples nous sont imposées par les autres, la vie en société, l’Etat. On ne peut pas faire tout ce que l’on désire ; il y a des choix qui nous sont refusés par la nature ( ne pas satisfaire nos besoins, ne pas mourir) par notre nature ou condition ( ne pas travailler, ne pas vivre avec les autres), par la société, la morale et même notre raison, notre morale.
En somme, on a le sentiment de faire ce que l’on désire dans certaines limites. Pour certains, ils ne se sentent pas libres car pour eux la liberté est absolue ou pas, pour d’autres ils se sentent libres car ils se voient choisissant et faire certes pas tout ce qu’il désire, mais ce qu’il désire.
Mais ne peut-on pas penser que tous sont dans l’illusion et que la conscience réfléchie dissipe cet illusoire sentiment de liberté ou de non liberté ?
II. Si on s’élève au plan de la conscience réfléchie, si on approfondit l’examen de conscience, on peut se rendre compte que :
D’un côté, ceux qui se croient libres ne le sont pas forcément :
soit parce que cette conscience immédiate font qu’ils s’en tiennent à ce qu’ils désirent ou choisissent , mais ignorent les causes qui les déterminent et déterminent leurs choix ( ils sont comme la pierre de Spinoza),
soit parce qu’ils ne se rendent pas compte de leur servitude ( préjugés, idéologie, mode, conditionnement…) ou s’en accommode ( servitude volontaire qui fait qu’on ne sent pas atteint dans sa liberté)
soit parce qu’ils ignorent ce qu’est la liberté ( ils confondent indépendance et autonomie, esclavage du désir et liberté) ou ce qu’elle pourrait être (on se contente de quelques libertés, comme si la liberté n’était qu’une somme de possibilités).
D’un autre côté, ceux qui ne se croient pas libres, ne se rendent pas compte qu’à la réflexion, qu’ils sont en réalité bien plus libres qu’ils ne le pensant, voire toujours libres :
soit parce que la présence d’obstacle ne fait que prouver et éprouver la liberté (Sartre)
soit parce que certaines limites peuvent être considérés comme n’affectant pas ma liberté ( les stoïciens, les lois de la nature et ce qui m’arrive, cela ne dépend pas de moi), ou comme condition de la liberté ( sans lois pas de liberté)
soit parce qu’ils se trompent sur ce qu’est la liberté, ne pas pouvoir faire tout ce qui nous plaît, ce n’est pas forcément ne pas être libre, car quand on fait ce qui nous plaît on déplaît souvent à autrui , et dc réciproquement, on ne fait pas pour autant forcément ce que l’on veut ; là encore, il y a confusion entre indépendance et autonomie, esclavage du désir et liberté.
En somme la conscience nous fait connaître que nous sommes ni libres ni pas libres , mais que nous avons à le devenir.
Aussi on peut se demander si la conscience ne peut pas nous faire libre ?
III. En effet, la conscience aussi bien au plan individuel que collectif peut nous amener à nous libérer et à mettre en place les conditions de notre liberté.
Au plan individuel, prendre conscience de soi , c’est prendre conscience de notre vocation en tant qu’homme à être libre ; c’est prendre conscience de ce qui nous déterminait malgré nous : inconscient , ( « là où est le ça , le moi doit advenir » Freud) , des désirs qui ne sont pas nôtres, de notre nature ( Spinoza) . A partir de là, on peut s’efforcer de mieux se connaître, s’accepter et donc être plus libre ( la connaissance permettant une plus grande et réelle liberté de choix selon Descartes). Prendre conscience de soi, c’est se rendre compte que la liberté, ce n’est pas faire tout ce que l’on désire, mais ce que l’on veut. Ce n’est pas l’esclavage du désir ; mais la maîtrise de soi.
Au plan collectif, prendre conscience, c’est prendre conscience que la loi n’est pas une limité négative à la liberté, mais qu’elle est ce qui la garantit et lui permet d’exister. C’est prendre aussi conscience que la loi n’est pas toujours ce qu’elle doit être (Pascal, Marx) que la liberté ne vaut pas d’être sacrifiée pour la sécurité. Donc c’est réaliser que la liberté, ce n’est pas l’anomie, ni bienûr l’hétéronomie, mais l’autonomie.
Donc la conscience ne me fait connaître ni que je suis libre (illusion de la conscience immédiate), ni que je ne le suis pas ( erreur sur ce qu’est la liberté et mauvaise foi) mais que je peux toujours être libre ou du moins que je dois toujours travailler à me libérer, à ce que ma liberté soit effective.
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