La crise d'avenir de l'Occident
Certes, comme disait René Char, "notre héritage n'est précédé d'aucun testament" et il appartient à chaque génération de dessiner son horizon. Mais nos tourments ne sont pas sans fondement. Le sens du commun s'est étiolé. A l'heure du chacun pour soi, le sentiment d'appartenance à un projet qui transcende les individualités s'est évaporé. L'effondrement du collectivisme – nationaliste ou communiste – et du progressisme économique a laissé place à l'empire du "moi je". Le sens du "nous" s'est dispersé.
L'idée de partage, de bien commun et de communauté semble voler en éclats, notamment à chaque nouvelle révélation de conflits d'intérêts touchant de hauts fonctionnaires. Mais ils sont encore nombreux ceux qui ne souhaitent pas laisser l'idée de communauté aux communautarismes qui hantent une planète déchirée.
Philosophes européens, Peter Sloterdijk et Slavoj Zizek sont de ceux-là. Ils ont accepté de débattre publiquement pour la première fois. Tout les sépare, en apparence. Le premier est un adepte de la philosophie individualiste de Nietzsche, l'autre un marxiste proche des mouvements alternatifs. Le premier est plutôt libéral, le second qualifié de radical.
Grâce à la puissance métaphorique mise au service de ses audaces théoriques, Peter Sloterdijk (prononcez "Sloterdeik") s'attache à saisir l'époque par la pensée, notamment grâce à une morphologie générale de l'espace humain, sa fameuse trilogie des "sphères", qui se présente comme une analyse des conditions par lesquelles l'homme peut rendre son monde habitable. En mariant Marx et Matrix, en jonglant entre Hegel et Hitchcock, le penseur slovène Slavoj Zizek (prononcer "Slavoï Jijèk") est une figure notoire de la "pop philosophie", aussi sévère avec le capitalisme global qu'avec une certaine frange de la gauche radicale, ne cessant d'articuler les références de la culture élitaire (opéra) et populaire (cinéma) aux grandes déflagrations planétaires.
Cette rencontre inédite est liée à la sortie concomitante de deux ouvrages destinés à penser la crise majeure que nous traversons. Avec Vivre la fin des temps (Flammarion, 578p., 29 euros), Slavoj Zizek analyse les différentes façons d'appréhender la crise du capitalisme. Car les quatre cavaliers de l'Apocalypse (désastre écologique, révolution biogénétique, marchandisation démesurée et tensions sociales) sont, selon lui, en train de le décimer: le déni (l'idée que la misère ou les cataclysmes, "cela ne peut pas m'arriver"), le marchandage ("laissez-moi le temps de voir mes enfants diplômés"), la dépression ("je vais mourir, pourquoi me préoccuper de quoi que ce soit" et l'acceptation ("je n'y peux rien, autant m'y préparer").
Et de proposer des alternatives et des initiatives collectives afin de retrouver le sens d'un communisme débarrassé de sa grégarité allié à un christianisme délivré de sa croyance en la divinité. Avec Tu dois changer ta vie (Libella/Maren Sell, 654p., 29euros), Peter Sloterdijk esquisse d'autres solutions, plus individuelles et spirituelles. Inspiré par le poème de Rainer Maria Rilke consacré à un torse antique du Louvre, il cherche dans les exercices spirituels des religieux à inventer un nouveau souci de soi, un autre rapport au monde.
De la faillite du crédit à l'affaire DSK, un dialogue inédit pour changer de voie.
Nicolas Truong (Débat)
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