sábado, 28 de dezembro de 2013

Maldito Heidegger: Tão Genial e Tão Idiota

La révélation de textes antisémites disséminés dans le "Journal de pensée" d'Heidegger (les Cahiers noirs, Schwartze Hefte, en cours d'édition dans la maison qui publie la Gesamtausgabe, Vittorio Klostermann) continue à produire sa prévisible onde de choc. C'est au tour de la presse allemande d'entrer dans la danse en reprenant les éléments d'un scandale d'abord parisien, tout en apportant quelques informations supplémentaires. Dans un article paru dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung (14/12/2013) et intitulé "Debakel für Frankreichs Philosophie", Jürg Altwegg, fin observateur de la scène intellectuelle hexagonale, ironise sur les événements de ces derniers jours. Il se demande carrément si la philosophie contemporaine française, dont les grandes gloires, Jacques Derrida notamment, ne sont à en croire le mot mordant de George Steiner que des "notes de bas de page" d'Heidegger, pourra se relever de ces révélations, elle dont les tenants ont tout fait pour exonérer l'auteur d'Être et Temps du pire, en l’occurrence l'antisémitisme s'exprimant en plein régime hitlérien.
L'Heideggerrei (la passion pour Heidegger) a toujours étonné ou choqué les plus importants penseurs allemands de l'après guerre, à commencer par Adorno. Pour beaucoup d'entre eux, le cas était réglé, et il était difficile de faire carrière en philosophie avec Heidegger, au rebours de la France. D'autant que l'inscription du philosophe dans l'univers et le contexte des grandes tendances du nationalisme et de la révolution conservatrice de l'époque de Weimar ne paraissait guère faire de doute. Décontextualisé à Paris, Heidegger semblait plus immatériel. Voilà sans doute pourquoi c'est en France que le maître de Fribourg-en-Brisgau a irrigué une bonne partie de la pensée française, fût-elle la plus critique, de Paul Ricœur à Michel Foucault en passant par Pierre Clastres ou Jean-Luc Marion. Le conservatoire heideggerien était par excellence les grandes khâgnes où les charismatiques professeurs de philosophie diffusaient la doctrine, de Jean Beauffret, le dédicataire de "La Lettre sur l'humanisme", à François Fédier, le gardien de l'orthodoxie et de la pureté du maître, en dépit des évidences qui se sont accumulées au gré de l'ouverture des archives.
FUITES
On en sait désormais un peu plus sur la façon dont les textes, qui ne devaient être rendus publics qu'au printemps, ont filtré parmi les heideggeriens français les plus farouchement attachés à l'héritage du maître. Ceux-ci avaient obstinément défendu la thèse de l'égarement passager d'Heidegger dans l'aventure national-socialiste. Parallèlement à son travail d'éditeur de la Gesamtausgabe, l'érudit et philosophe Peter Trawny, qui a fondé l'an passé le premier institut Martin Heidegger dans l'espace germanophone, à l'université de Wuppertal, a écrit un essai sur Heidegger und der Mythos der jüdischen Weltverschwörung("Heidegger et le mythe du complot juif mondial"). Coauteur du Dictionnaire Martin Heidegger (Cerf, 1 454 p., 30 €), où il a signé un fort intéressant article consacré aux relations Hegel-Heidegger, Peter Trawny a  comme c'est l'usage entre collègues, fait circuler confidentiellement son manuscrit (lequel ne pouvait voir le jour avant que l'édition V. Klostermann ne fût achevée) ; mal lui en a pris car lesdits collègues ont "violé l'embargo". Pourquoi cette indiscrétion, pour ne pas dire déloyauté ? S'agit-il de torpiller ou retarder la sortie de documents susceptibles de faire porter sur l'entreprise heideggerienne une ombre définitive ? Veut-on désamorcer à l'avance l'impact de ces découvertes ?
Quoi qu'il en soit, il sera bientôt difficile de lire l'Heidegger des années 1930, sans parler aussi de son obsession pour la révolution hölderlinienne (du nom du poète romantique Hölderlin, 1770-1843 qui termine son poème de 1802, Patmos : "Le plus souvent, que soignée devienne/ La lettre immuable, et l’existant bien/ Interprété. À cela se plie le chant allemand"), ou évoquer la réalisation du programme platonicien du "Philosophe-Roi" (comme le suggère Christian Sommer) et inspiré par le national conservatisme du Tat-Kreis auquel appartenait son ami aussi Ernst Jünger. Tout cela, loin de nous inviter à ne pas lire Heidegger comme le suggèrent les "gardiens du Graal" heideggerien, devrait plutôt nous inciter à en redécouvrir un autre. Celui de son œuvre principale de 1927 qui réalisa une véritable révolution, philosophique celle-là, Être et Temps.

Sem comentários: