Jean-Didier Vincent
Extrait de Le Cerveau sur mesure :
Il n’y a pas un objet connu dans notre univers qui égale en complexité un cerveau humain. Les milliards d’étoiles de la Voix lactée gouvernées par la mécanique céleste ne sont pas comparables à l’admirable architecture des cent milliards de cellules (neurones) contenues dans les 1 500 grammes de matière cérébrale. Et cependant, ce cerveau à l’œuvre n’aurait rien d’humain s’il n’était confronté à d’autres cerveaux semblables au sien dont il tire la conscience de sa propre existence – autrement dit de sa subjectivité qui s’exprime dans sa capacité à dire «je». Cet ego que l’on peut désigner sous le terme de psyché implique donc un échange de sens avec l’autre : l’autre qui pense en soi et à la place de qui je sens. En avançant cette proposition, nous nous plaçons dans une perspective résolument humaniste et en réaction contre le «paradigme cybernétique» où nous entraînent les sciences de l’information et certaines dérives des sciences dites «cognitives». Que se passe-t-il lorsque au lieu de son semblable, un cerveau humain doit faire face à une machine ? À quel niveau d’intégration se situeront les échanges entre ces deux entités ? On obtient une réponse facile si l’on considère que le cerveau est lui-même une machine. L’existence des hommes se résumerait alors à des échanges d’informations entre des corps intelligents se comprenant mutuellement grâce à des codes partagés auxquels s’ajouteraient des émotions au service de leurs facultés intellectives. À la rationalité instrumentale ou effective s’ajouterait la rationalité expressive ou affective. Nous n’avons rien a priori contre l’idée d’une machine sentimentale. Notre conviction profonde demeure, toutefois, que le cerveau humain ne peut être réduit à une condition machinale dans laquelle il serait amputé d’une partie de son essence. Jusqu’à quelles limites les capacités supplémentaires de ce cerveau peuvent-elles être augmentées sans que ce cyborg cesse d’être un homme ?
Le Cerveau sur mesure, p.224–225-226
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