Luiz Inacio Lula da Silva, président du Brésil, est venu à Paris pour s'entretenir avec Nicolas Sarkozy à la veille du sommet du G8, en Italie, et pour recevoir, à l'Unesco, le prix Félix-Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix. Il a reçu Le Monde, lundi 6 juillet, pour un entretien exclusif.
Comment jugez-vous la réponse internationale à la crise ?
Je suis satisfait. Le crédit revient ; sans cela, il n'y a pas de dynamisme économique. Mais nous ne connaissons pas encore la dimension, ni la durée de la crise. Au Brésil, nous avons consacré une partie de nos réserves au financement des exportations. L'économie redonne des signes de croissance. L'exportation reste fragile ; c'est un secteur qui dépend de quelques grands acheteurs. Je souhaite le rétablissement le plus rapide des pays les plus développés : cela profitera aux émergents. Mais le Brésil n'est pas totalement dépendant de ses exportations ; elles représentent 13 % du PIB (produit intérieur brut). Comme la Chine ou l'Inde, nous avons un marché intérieur appréciable. Le Brésil devrait renouer avec une croissance raisonnable en 2010.
Les mesures adoptées au G20 de Londres en avril vont dans le bon sens : rendre plus flexible le FMI (Fonds monétaire international), augmenter ses ressources et celles de la Banque mondiale, aider les pays pauvres, sans leur imposer les conditions des périodes précédentes.
Faut-il remplacer le G8, le groupe des huit pays les plus industrialisés, par le G20, qui comprend aussi les émergents ?
Le Brésil a été invité par Jacques Chirac au sommet du G8 pour la première fois à Evian, en 2003. Les pays riches s'étaient rendu compte qu'ils ne pouvaient débattre des questions économiques sans prendre en compte la Chine, l'Inde, l'Afrique du Sud, le Brésil, le Mexique. Mais il n'était plus possible de continuer à nous inviter au sommet pour prendre le café - le café le plus cher au monde ! - et pour la photo. Les pays émergents devaient prendre une part plus importante aux délibérations, ce qui sera le cas en Italie.
Le G20 est plus important que le G8, plus représentatif, donc plus proche des réalités de la crise que nous traversons. En avril, Londres avait été le premier sommet où tout le monde avait été placé sur un pied d'égalité. Avant, le FMI et la Banque mondiale avaient des solutions toutes faites, péremptoirement assénées tant que la crise touchait les pays pauvres. Mais, cette fois, à Londres, il n'y avait plus de proposition dès lors que la crise touchait aussi les riches... Il n'y avait plus de certitudes, de recettes toutes faites. Cela a rendu tout le monde beaucoup plus humble.
La discussion a été plus sereine et objective. Nous sommes parvenus à nous mettre d'accord sur la surveillance des paradis fiscaux, la démocratisation du FMI et l'augmentation des ressources des institutions multilatérales de financement. Le FMI et la Banque mondiale auront un rôle accru, pourront prêter aux pays pauvres, sans bâillonner leurs économies comme auparavant, tout en respectant leur souveraineté.
Le G8 n'a plus de raison d'être, à moins que ce soit pour débattre d'autres sujets que les grands équilibres internationaux. L'économie mondiale a besoin de forums multilatéraux, comprenant les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), l'Indonésie, l'Afrique du Sud, le Mexique, les pays arabes. Leur impact dépendra de leur représentativité.
Croyez-vous à l'instauration durable de nouvelles règles ?
Le défi consiste à éviter que le G20 de Londres n'ait été qu'une opération chirurgicale sans lendemain. Ma crainte est que certains pays riches ne veuillent du G20 que pour surmonter cette crise. Le G20 doit fonctionner de manière permanente. Il ne doit pas impliquer uniquement les chefs d'Etat, mais aussi se réunir au niveau des ministres de l'économie, des banques centrales, des ministres des affaires étrangères. En attendant que nous parvenions à adopter une réforme des Nations unies qui permette à une ONU plus représentative de coordonner les discussions économiques avec la participation des petits pays. Car ces derniers sont les principales victimes de la crise, qui a commencé par les pays riches. Les dirigeants politiques doivent faire un saut qualitatif et ne plus répéter les erreurs du XXe siècle. La démocratie a besoin de forums multilatéraux renforcés.
Nombreux sont ceux qui ont défendu le consensus de Washington hier (sur la libéralisation des marchés) et qui, aujourd'hui, prônent le protectionnisme ou ne souhaitent pas conclure les négociations du cycle de Doha (dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sur une nouvelle phase de libéralisation des échanges). Mais comment croire à un monde plus juste sans autoriser l'accès des produits agricoles des pays pauvres sur les marchés des pays riches ? Sur quelle base un pays comme les Etats-Unis décide-il de produire de l'éthanol de maïs - c'est-à-dire utilisant un aliment de base pour le bétail ou pour les hommes - coûtant trois fois plus que l'éthanol de canne à sucre ?
Quelle confiance accorder dans l'avenir du dollar ?
Le dollar sera encore important pendant des décennies. Son remplacement dans le commerce mondial n'est pas simple. Mais le Brésil croit à la possibilité de nouvelles relations commerciales sans subordination au dollar. Nos échanges avec l'Argentine peuvent être réalisés dans nos monnaies respectives. Nous avons évoqué le sujet au récent sommet des BRIC, nous en avons parlé avec la Chine. Lors de la chute de Lehmann Brothers, le monde a découvert qu'il n'y avait plus de crédit et que la dépendance à l'égard d'une seule monnaie n'est pas une bonne affaire. Il faut trouver des alternatives. Le débat est lancé et il ne s'arrêtera pas de sitôt.
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