quarta-feira, 30 de abril de 2008

O ESTADO EM TODOS OS SEUS ESTADOS



L’État dans tous ses états


Sujet à controverses, régulièrement pris à partie, synonyme de pouvoir et de domination, implacablement inhumain, l’État a régulièrement fait l’objet d’une métaphorisation qui ne laisse guère de doutes sur la manière dont les penseurs l’ont appréhendé. Depuis l’époque moderne notamment et la façon dont Hobbes a théorisé sa manière de confisquer et d’accumuler toutes les puissances particulières du sujet, jusqu’à Weber qui lui attribue le monopole de la violence légitime, l’État n’a cessé de gagner en potentiel néfaste menaçant toujours un peu plus d’écraser l’individu (Stirner). Kant en saisit la dérive tyrannique par une analogie pour le moins explicite : « Le tyran écrase le peuple comme le moulin à bras écrase le grain. » Ainsi l’État est-il, potentiellement au moins, toujours susceptible d’une perversion radicale, ce qui, notons-le, suppose qu’il y ait originellement une certaine rectitude et une normalité de ses formes et de ses fonctions, malheureusement toujours en passe d’être contaminées par l’hybris. Au service des passions et des intérêts les plus vils, l’État perd sa légitimité et se montre tel qu’il est : « le plus froid des monstres froids », selon Nietzsche, annonciateur funeste des pires excès des totalitarismes du XXe siècle.
Ce constat devient d’autant plus alarmant si l’on prête l’oreille à une autre critique réputée marxienne de l’État, selon laquelle celui-ci n’est qu’un instrument de domination supplémentaire dont les classes dominantes se sont toujours assuré de conserver l’exclusivité et le contrôle et qu’elles ont parfaitement utilisé comme solide levier d’action et de domination sur la part la moins bien armée de la société civile. Puissance d’organisation, de surveillance, de sanctions, etc. (Foucault), l’État fonctionne à plein régime lorsqu’il encadre et planifie la société selon les axes économique, social, idéologique, culturel et politique. Au final, toujours structuré de manière pyramidale, le propre de l’État est la hiérarchisation, étayée sur la sélection et l’exclusion, l’élection et l’élimination.
Pourtant l’État, ou plus exactement la cité, c’est aussi ce qui vient s’inscrire selon Aristote au cœur de la nature humaine, comme une de ses données les plus substantielles, à la fois spécificité de sa condition première et destination finale de son existence. La cité précède ainsi non seulement la famille mais aussi l’individu, et chaque homme se trouve doté d’une virtualité politique qui à la fois rend possible son humanité et impulse à son devenir une perfectibilité. De même chez Spinoza, l’État est replacé dans un contexte fondamentalement positif : pensé selon son idée adéquate, il ne sert pas la tristesse et ne joue pas le rôle d’un tyran qui nuit au peuple et veut le gêner, l’entraver et le dominer. Bien au contraire, la juste pensée de l’État conduit à saisir son rôle régulateur et épanouissant : ramené à ses fonctions premières de garant de la paix, de la sécurité et de la mise en œuvre des conditions de possibilité d’une poursuite du bonheur, l’État est à la fois le garde-fou de toutes les errances humaines et la condition de la liberté.
Dès lors, où en est-on avec l’État ? Doit-on sérieusement envisager sa diminution, suivie de son abolition ou suppression ? Ou bien doit-on le repenser et notamment le réorganiser quant à sa finalité et ses principales hiérarchies, par exemple en lui conférant la souplesse qu’il n’a pas, en l’individualisant et le taillant à la portée de l’individu ? Que chacun puisse soutenir sans pour autant se prendre pour Louis XIV « l’État c’est moi » constituerait ainsi un horizon indépassable nécessairement impensé ou dénié de l’utopie philosophico-politique. Ce serait dans un tel non-lieu dessiné par la pensée inventive des philosophes que résideraient les idéaux les plus tenaces d’un bonheur structurellement garanti (comme par exemple dans le préambule de la Constitution américaine), idéal dans lequel se retrouverait le diagnostic de Descartes : « C'est le plus grand bien qui puisse être dans un État que d'avoir de vrais philosophes. »

Gilles Behnam, pour le Mag Philo


Sem comentários: