Rétablir la confiance en ravivant le sens du vivre-ensemble
Les Français sont pessimistes et négatifs, si bien que les réformes les mieux conçues peinent à trouver l’adhésion parce qu’elles butent sur le soupçon. Comment y remédier ? En favorisant la confiance, qui rend le jugement plus serein en puisant à deux sources : notre propre expérience du passé et la confiance que d’autres nous témoignent. Synonyme de grandeur perdue pour les Français, l’histoire récente est d’un piètre recours à cet égard. Mais une volonté politique peut, avec confiance et ténacité, susciter un milieu favorable en ravivant le sens du vivre-ensemble, cette humeur qui rend l’avenir désirable. Cela suppose d’agir pour la liberté, en desserrant des contraintes, et d’agir par la norme contre ce qui s’oppose à cette liberté. Cette méthode conduirait à passer l’une après l’autre les réformes envisagées au tamis des conditions de la confiance qu’on se propose maintenant d’envisager.
Rétablir la confiance en économie : humaniser l’échange. Parce qu’il tend à centrer l’attention sur les biens échangés en la détournant des personnes, l’échange marchand favorise l’indifférence, le cynisme, le soupçon. Rétablir la confiance invite à privilégier la dimension de reconnaissance entre des protagonistes qui, symboliquement, se donnent dans ce qui est échangé. La confiance en soi comme en l’autre se nourrissent alors mutuellement, suscitant la confiance en la relation, le projet, l’avenir. A rebours de l’extension croissante de la logique marchande et son action dissolvante sur la civilité et les solidarités, il s’agit de renouer avec le sens de l’action libre qui permet la rencontre.
La sphère du travail est aussi concernée. Aujourd’hui, l’obsession du reporting dissuade l’entraide informelle et disperse le collectif. Les politiques de rémunération globale minent le lien en rendant quitte de tout. De plus en plus, la condition au travail décrit une zone de survie, voire d’incivisme. Y rétablir la confiance requiert moins de compétition et plus de coopération. L’Etat-employeur pourrait s’en faire le promoteur exemplaire. Le travail ne peut être seulement le contraire du chômage. Il constitue l’une des formes de l’action en commun qui se déploie du cercle des proches au gouvernement de la Cité. Considéré sous cet angle, le demandeur d’emploi apparaîtrait au recruteur comme porteur d’une offre originale. Les bénéfices qu’on peut en attendre sont d’ordre économique (productivité, innovation, dynamisme des territoires...), social (création d’emplois) et politique, le travail retrouvant sa fonction de socialisation. En corollaire, cela requiert d’agir par la norme pour remettre la finance à sa place et moraliser l’économie afin qu’elle serve la collectivité au lieu de l’assujettir. Miser sur la visée du sens au-delà du seul bien-être pourrait constituer un nouveau Progrès, reprise rectifiée de celui en lequel la confiance s’est perdue : une pédagogie pour recommencer autrement en privilégiant les relations et les fins sur la technique et les moyens.
La confiance en politique : favoriser la reconnaissance. Le problème de la confiance en politique peut s’appréhender à partir du jeu de massacre que tendent à devenir les scrutins. Si, pour l’électeur, la tentation devient si forte de « sortir les sortants », c’est en partie du fait de ne pas se sentir assez partie prenante, faute d’avoir été sollicité plus souvent. Car la concertation entretient la confiance, qui donne sa chance à la durée. Cela milite pour développer la démocratie participative, limiter la politique professionnelle, miser sur la discussion, tant avec les électeurs qu’au sein des instances délibérantes, afin de favoriser la reconnaissance entre gouvernants et gouvernés. En eux-mêmes, l’action à plusieurs, le dialogue social et l’ échange non-marchand sont un apprentissage permanent du compromis. Il en émane une éthique qui puise dans la coopération un sentiment de cohésion. Par sa vitalité, la société peut ainsi devenir le milieu nourricier d’une humeur qui pointe en direction du rassemblement que visent par ailleurs les gouvernants. Cela conduit à revisiter toutes les instances qui
Les Français sont pessimistes et négatifs, si bien que les réformes les mieux conçues peinent à trouver l’adhésion parce qu’elles butent sur le soupçon. Comment y remédier ? En favorisant la confiance, qui rend le jugement plus serein en puisant à deux sources : notre propre expérience du passé et la confiance que d’autres nous témoignent. Synonyme de grandeur perdue pour les Français, l’histoire récente est d’un piètre recours à cet égard. Mais une volonté politique peut, avec confiance et ténacité, susciter un milieu favorable en ravivant le sens du vivre-ensemble, cette humeur qui rend l’avenir désirable. Cela suppose d’agir pour la liberté, en desserrant des contraintes, et d’agir par la norme contre ce qui s’oppose à cette liberté. Cette méthode conduirait à passer l’une après l’autre les réformes envisagées au tamis des conditions de la confiance qu’on se propose maintenant d’envisager.
Rétablir la confiance en économie : humaniser l’échange. Parce qu’il tend à centrer l’attention sur les biens échangés en la détournant des personnes, l’échange marchand favorise l’indifférence, le cynisme, le soupçon. Rétablir la confiance invite à privilégier la dimension de reconnaissance entre des protagonistes qui, symboliquement, se donnent dans ce qui est échangé. La confiance en soi comme en l’autre se nourrissent alors mutuellement, suscitant la confiance en la relation, le projet, l’avenir. A rebours de l’extension croissante de la logique marchande et son action dissolvante sur la civilité et les solidarités, il s’agit de renouer avec le sens de l’action libre qui permet la rencontre.
La sphère du travail est aussi concernée. Aujourd’hui, l’obsession du reporting dissuade l’entraide informelle et disperse le collectif. Les politiques de rémunération globale minent le lien en rendant quitte de tout. De plus en plus, la condition au travail décrit une zone de survie, voire d’incivisme. Y rétablir la confiance requiert moins de compétition et plus de coopération. L’Etat-employeur pourrait s’en faire le promoteur exemplaire. Le travail ne peut être seulement le contraire du chômage. Il constitue l’une des formes de l’action en commun qui se déploie du cercle des proches au gouvernement de la Cité. Considéré sous cet angle, le demandeur d’emploi apparaîtrait au recruteur comme porteur d’une offre originale. Les bénéfices qu’on peut en attendre sont d’ordre économique (productivité, innovation, dynamisme des territoires...), social (création d’emplois) et politique, le travail retrouvant sa fonction de socialisation. En corollaire, cela requiert d’agir par la norme pour remettre la finance à sa place et moraliser l’économie afin qu’elle serve la collectivité au lieu de l’assujettir. Miser sur la visée du sens au-delà du seul bien-être pourrait constituer un nouveau Progrès, reprise rectifiée de celui en lequel la confiance s’est perdue : une pédagogie pour recommencer autrement en privilégiant les relations et les fins sur la technique et les moyens.
La confiance en politique : favoriser la reconnaissance. Le problème de la confiance en politique peut s’appréhender à partir du jeu de massacre que tendent à devenir les scrutins. Si, pour l’électeur, la tentation devient si forte de « sortir les sortants », c’est en partie du fait de ne pas se sentir assez partie prenante, faute d’avoir été sollicité plus souvent. Car la concertation entretient la confiance, qui donne sa chance à la durée. Cela milite pour développer la démocratie participative, limiter la politique professionnelle, miser sur la discussion, tant avec les électeurs qu’au sein des instances délibérantes, afin de favoriser la reconnaissance entre gouvernants et gouvernés. En eux-mêmes, l’action à plusieurs, le dialogue social et l’ échange non-marchand sont un apprentissage permanent du compromis. Il en émane une éthique qui puise dans la coopération un sentiment de cohésion. Par sa vitalité, la société peut ainsi devenir le milieu nourricier d’une humeur qui pointe en direction du rassemblement que visent par ailleurs les gouvernants. Cela conduit à revisiter toutes les instances qui
font médiation entre l’ Etat et le citoyen (syndicats, partis, associations...) afin de faciliter
l’engagement dans les activités engendrées par le temps libre, lui-même à développer. L’enjeu est de
raviver le sentiment d’un « nous » porteur d’une confiance en l’avenir qui retourne la peur de l’autre
en peur pour l’autre. Réciproquement, les gouvernants peuvent contribuer à la confiance des
gouvernés par une posture soucieuse d’actualiser sa légitimité à l’aune de ce sens du souhaitable qui
émane de l’opinion, à concilier avec le sens du possible, qui incombe aux gouvernants. Cela conduit à
rechercher l’adhésion par consentement et discussion, à travers un discours qui en appelle à la capacité
du citoyen de voir loin, de grandir en autonomie. Par son souci de cohérence entre les paroles et les
actes, entre ce qui est demandé à l’autre et exigé de soi, entre court et plus long termes, comme par sa
visée d’un débat exigeant qui honore la Cité, ce discours tranche avec l’action brutale, la provocation,
les petites phrases, l’esprit partisan. Pour que le débat ait lieu, encore faut-il qu’il fasse la part égale à
l’expertise et aux convictions, au service d’un projet qui nous réconcilie, par la visée d’un récit, avec
l’Histoire : celle d’une identité collective en devenir. Il y serait question d’une société qui équilibre le
sens de son unité par celui de sa pluralité, qui concilie identité et altérité dans le compromis, égalité et
liberté dans la fraternité. La règle générale instruite par l’expérience, la pratique du face à face au lieu
de son évitement dans le formalisme, l’humanisation par le dialogue plutôt que décrétée d’en haut
constitueraient un horizon par lequel le politique en appellerait à la société, avant de trancher.
Confiance et identité nationale. En France, l’ Etat s’ est construit au nom d’ un destin national voué à l’universel qui créait de l’unité par renoncement de ses composantes à leurs particularités. La construction européenne peut faire craindre à présent que l’Hexagone ne se fonde dans un ensemble encore plus vaste, perspective d’autant plus redoutée que le projet initial semble s’être dissous dans le marché. Tel serait le résultat de l’adaptation de la société française engagée depuis trente ans au nom de la « modernisation ». D’où le sentiment d’un marché de dupes qui s’empare de nombre de Français s’estimant abandonnés. Alors l’identité nationale se diffracte en une juxtaposition d’identités sociales, culturelles, corporatistes, dans une humeur victimaire et revendicatrice chargée de ressentiment tant envers le passé qu’envers le collectif. Le dépit empêche de discerner dans le chemin parcouru les motifs qui donneraient confiance en ce « nous » que nous sommes aujourd’hui. Mais la réplique peut venir d’une reconnaissance mutuelle entre les parties du tout, sous l’égide du politique. Réconciliée avec elle-même, la société française porterait alors un regard plus serein sur l’expérience passée, tandis que le futur ne serait plus à craindre. Il en émanerait une nouvelle grandeur française, bien différente de celle que la nostalgie va chercher « avant-guerre ». Dès 2014, elle puiserait par exemple aux fraternisations transfrontières des tranchées, à la faveur des commémorations de la Grande guerre, et autres visions porteuses d’une souveraineté partagée.
Et le chômage ? Et cependant il y a le chômage de masse. La défiance des Français s’y enracine, et tous deux font désormais partie du système. Dès lors, pense-t-on, l’enjeu nous dépasse car il désigne la société de l’exclusion tout entière. Aussi bien, c’est la raison instrumentale, qui traite à grande échelle l’humain comme un moyen, qu’il faudrait remettre à sa place. Or les réformes systémiques sont impossibles. Et modifier les modes de pensée ne se décrète pas. Serait-ce même légitime ? Pour autant, on ne peut soigner le mal indépendamment de son biotope. Cela incite à compléter les mesures techniques par une thérapeutique que la société s’administrerait à elle-même en surmontant crispations et raideurs dans le compromis ordinaire. C’est ce que font peut-être sans le savoir les sociétés à faible taux de chômage. Raviver le vivre-ensemble permettrait de lutter à la fois contre le manque de confiance et contre le chômage de masse par une manière d’agir par « métamorphose » (E. Morin), « transformation silencieuse » (F. Jullien) ou de « proche en proche » (P. Ricœur). Certes, sur ce chemin, surgissent des contraintes et des risques. Mais pour l’heure, il importe de porter la contradiction au néolibéralisme sur le terrain qu’il fait passer pour le sien, celui de la liberté, en rappelant que, si la liberté vaut pour tous, elle a pour corollaire la fraternité au moins autant que le marché.
Pierre-Olivier Monteil
Chercheur associé au Fonds Ricœur
Confiance et identité nationale. En France, l’ Etat s’ est construit au nom d’ un destin national voué à l’universel qui créait de l’unité par renoncement de ses composantes à leurs particularités. La construction européenne peut faire craindre à présent que l’Hexagone ne se fonde dans un ensemble encore plus vaste, perspective d’autant plus redoutée que le projet initial semble s’être dissous dans le marché. Tel serait le résultat de l’adaptation de la société française engagée depuis trente ans au nom de la « modernisation ». D’où le sentiment d’un marché de dupes qui s’empare de nombre de Français s’estimant abandonnés. Alors l’identité nationale se diffracte en une juxtaposition d’identités sociales, culturelles, corporatistes, dans une humeur victimaire et revendicatrice chargée de ressentiment tant envers le passé qu’envers le collectif. Le dépit empêche de discerner dans le chemin parcouru les motifs qui donneraient confiance en ce « nous » que nous sommes aujourd’hui. Mais la réplique peut venir d’une reconnaissance mutuelle entre les parties du tout, sous l’égide du politique. Réconciliée avec elle-même, la société française porterait alors un regard plus serein sur l’expérience passée, tandis que le futur ne serait plus à craindre. Il en émanerait une nouvelle grandeur française, bien différente de celle que la nostalgie va chercher « avant-guerre ». Dès 2014, elle puiserait par exemple aux fraternisations transfrontières des tranchées, à la faveur des commémorations de la Grande guerre, et autres visions porteuses d’une souveraineté partagée.
Et le chômage ? Et cependant il y a le chômage de masse. La défiance des Français s’y enracine, et tous deux font désormais partie du système. Dès lors, pense-t-on, l’enjeu nous dépasse car il désigne la société de l’exclusion tout entière. Aussi bien, c’est la raison instrumentale, qui traite à grande échelle l’humain comme un moyen, qu’il faudrait remettre à sa place. Or les réformes systémiques sont impossibles. Et modifier les modes de pensée ne se décrète pas. Serait-ce même légitime ? Pour autant, on ne peut soigner le mal indépendamment de son biotope. Cela incite à compléter les mesures techniques par une thérapeutique que la société s’administrerait à elle-même en surmontant crispations et raideurs dans le compromis ordinaire. C’est ce que font peut-être sans le savoir les sociétés à faible taux de chômage. Raviver le vivre-ensemble permettrait de lutter à la fois contre le manque de confiance et contre le chômage de masse par une manière d’agir par « métamorphose » (E. Morin), « transformation silencieuse » (F. Jullien) ou de « proche en proche » (P. Ricœur). Certes, sur ce chemin, surgissent des contraintes et des risques. Mais pour l’heure, il importe de porter la contradiction au néolibéralisme sur le terrain qu’il fait passer pour le sien, celui de la liberté, en rappelant que, si la liberté vaut pour tous, elle a pour corollaire la fraternité au moins autant que le marché.
Pierre-Olivier Monteil
Chercheur associé au Fonds Ricœur
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