terça-feira, 27 de novembro de 2007

MEMÓRIA ESPOLIADA -RESUMO


Un livre de Sophie Cœuré



Histoire, vos papiers !
En lisant le livre de Sophie Cœuré, La Mémoire spoliée, on est tenté de dire que le travail d’interprétation du philosophe doit commencer là où celui de l’enquête de l’historienne s’arrête : à un instant donné de l’histoire, temps bref de suspension d’un sens tracé et d’une vérité volée, juste avant que le chercheur ne redonne un coup de projecteur sur les zones encore oubliées du passé.
Ce voyage dans les archives des Français, saisies par les nazis dès 1940 puis récupérées par l’armée Rouge, montre clairement comment l’odyssée complexe et contrariée des documents français sera soumise à la loi du hasard, aux conflits d’intérêt, aux jeux tendus et subtils entre ingérence, spoliations, vols, destructions, pertes, conservation, dissimulation, protection, résistance. Le souci de l’historienne de lutter, par ses recherches, contre l’oubli et le silence qui entourent en partie la disparition des documents dans l’après-guerre, va confronter le lecteur à une série de questions : quel est le sens de ce « mémoricide » ? Comment expliquer cet endormissement d’après-guerre qui différera la volonté de prise en compte d’un passé et la restitution de documents ? Quelles étaient les idéologies et les motivations nazies puis soviétiques dans ces politiques de destruction, de spoliations et de rétention de documents ? Quel est le statut juridique, politique, historique, idéologique de l’archive en temps de guerre ? Peut-on parler de vérité historique ? Quels regards l’historien et le philosophe portent-ils sur la volonté de contrôle du passé, sur l’assassinat des mémoires collectives et privées, sur l’inquisition systématique dans les régimes adverses, sur la constitution totalitaire d’une civilisation du rapport, de la liste, de l’archivage ? Mais au-delà de ces questionnements de fond sur l’histoire de l’humanité (Sophie Cœuré rappelle que le pillage des vaincus par les vainqueurs est une pratique qui remonte à l’Antiquité, il n’est qu’à penser aux pillages culturels lors des conquêtes napoléoniennes), l’auteure nous livre les témoignages émouvants d’intellectuels, d’écrivains ou de simples individus qui évoquent les livres et documents intimes perdus, le dernier regard sur une bibliothèque ou les premiers instants d’un passé qui resurgit après des dizaines d’années de refoulement, la joie attendue de mettre fin à ce que Louise Weiss appelle « le supplice de l’oblitération de la mémoire ».
Dans son introduction, Sophie Cœuré donne à comprendre comment la « guerre des archives » ouvre un pan intellectuel et culturel méconnu de la Shoah. Les disparitions et spoliations vont être nombreuses et diverses : anonymes, « ennemis du Reich », hommes ou femmes célèbres (l’appartement de Léon Blum sera perquisitionné et vidé dès le 20 juin 1940), mais on s’empare aussi des sources clés de l’histoire européenne, comme l’original du traité de Versailles, saisi en août 1940 et destiné à être offert à Hitler. Si la spoliation des archives reste « un crime mineur », son étude permet de mettre au jour le fonctionnement systématique des pratiques totalitaires, la volonté de contrôler et de réécrire l’histoire des hommes, et établit des liens éclairants entre archives, guerre et politique.

Dans une première partie, « Vols de guerre : les nazis et les archives françaises (1940-1944) », l’auteure se concentre essentiellement sur les politiques nazies de spoliations des archives. L’étude détaille les différents groupes chargés de la récupération des archives, précise la rivalité et la concurrence que ces groupes entretiennent entre eux, dresse un état des lieux des disparitions, rend compte de la position des institutions françaises face à ces politiques prédatrices. L’auteure fait comprendre à son lecteur la frontière parfois ténue entre spoliation et protection, entre prise de guerre et pillage, entre cohérence de la destruction (ce qui ne doit pas tomber dans les mains de l’ennemi) et brigandage. Certains spoliateurs prétendront, dans leur défense d’après-guerre, avoir été animés avant tout par un désir de protection et de conservation des documents. Mais les raisons des spoliations sont souvent d’un autre ordre : la volonté de purifier la culture et de faire du livre « l’arme de l’esprit allemand » (Goebbels) – la sélection des documents et leur destruction permettaient d’assurer un fondement scientifique aux théories raciales nazies –, le combat idéologique mené contre le « judéo-bolchévisme » et la franc-maçonnerie, l’utilisation opérationnelle de documents récents permettant de prendre un avantage stratégique et militaire. Les cibles des spoliations sont bien souvent les mêmes : les documents juifs et les archives franc-maçonnes, la SFIO, le parti communiste, les archives des églises catholiques et protestantes, les organisations syndicales. Il y aura peu d’oppositions majeures face à la fuite de ces millions de documents vers l’Allemagne nazie.

Dans une deuxième partie, « Butin ou sauvetage ? Les archives françaises vers l’Union soviétique (1944-1949) », Sophie Cœuré raconte comment une grande partie des archives françaises va prendre le chemin de Moscou ou celui des pays de l’Est. Ces « trophées de guerre » vont demeurer en URSS (certains documents demeurent introuvables : l’original du traité de Versailles, la correspondance de Louise Weiss avec Aristide Briand, les inédits du poète Saint-John Perse, ceux du philosophe Alain volés chez André Maurois). Une partie des documents personnels de Léon Blum fera longtemps partie des fonds secrets soviétiques. Même si la France va organiser après 1945 une politique de restitution des documents, des millions d’archives vont demeurer en URSS. Ces « trophées » apparaissent aux Soviétiques comme une compensation normale aux pertes antérieures subies par la Russie. On va restituer très vite ce qui permet de rassembler les preuves des crimes de « l’envahisseur germano-fasciste », mais le reste sera jalousement conservé.

Dans une troisième partie, « Des documents au secret : usages soviétiques et silences français (1946-1992) » et dans le chapitre quatre, « Un si long chemin : la résurrection des archives françaises depuis la fin du XXe siècle », on découvre comment l’ensemble des documents saisis par les Soviétiques va faire l’objet d’un long travail d’archivage, de listage et que l’usage de ces documents sera essentiellement opérationnel, une utilisation à des fins politiques, diplomatiques, militaires, une abondante source de marchandage. L’usage scientifique, qualifié « d’archivistique bourgeoise », sera bien négligé. Il y a aussi la volonté de créer un projet universaliste du communisme et de l’idéologie révolutionnaire, pour éviter l’éparpillement des données (les fonds secrets russes renferment des archives de la Révolution française et de la Commune de Paris). Pour les Soviétiques, tout sera affaire d’État et on note une absence de distinction entre les archives publiques et privées. Le pouvoir totalitaire pénètre sans scrupules au cœur de l’intime. L’auteure décrit comment les politiques de gestion des archives, enjeux cruciaux, vont suivre l’évolution des régimes soviétiques, accompagnant les tentatives d’ouverture. Ainsi, à part les cadeaux faits à de Gaulle en 1966 lors du « dégel » khrouchtchévien, les retours seront rares et discrets. Il faut attendre l’effondrement du mur de Berlin pour voir s’opérer des restitutions massives.

Dans le dernier chapitre, « La guerre, le droit, la nation, la mémoire », l’auteure souligne qu’il est compliqué d’appliquer à la lettre le droit international concernant le pillage des archives. Elle revient aussi sur la spécificité de l’idéologie nazie dans les spoliations : « Si, comme en URSS, les archives contemporaines pouvaient être utilisées pour condamner un opposant sur la base de son passé politique, il y avait une différence fondamentale dans la définition de l’identité qui fondait la pureté sociale du Reich : non pas une combinaison complexe d’origine de classe, d’origine nationale et d’itinéraire personnel comme en Union soviétique, mais un critère unique – la race » (p. 177).

Le travail minutieux, précis, complet de l’historienne sur les archives spoliées convoque un cortège de mots qui résonnent comme des matières à penser pendant tout ce douloureux périple : passé, silence, mémoire, arrachement, retrouvailles, pertes, etc. On voit s’affronter la volonté de contrôler ou de manipuler le passé, d’éradiquer les mémoires, les identités à celle de résister par une recherche constante de la restitution des mémoires. Louise Weiss traduit bien ce traumatisme et ce désir de ne pas céder : « Toute la IIIe République, toute l’Europe s’étaient abreuvées, amusées, querellées, enthousiasmées entre mes murs. La disparition de mes livres m’enleva le goût de vivre pendant plusieurs semaines. Le Maréchal était déjà allé fort avant dans la destruction morale des Français qui ne pensaient pas comme lui mais il ne les avait pas détournés du droit d’appartenir à l’espèce humaine en leur volant leur mémoire. Les livres représentaient ce droit, cette mémoire. »


CŒURÉ Sophie
La Mémoire spoliée. Les archives des Français, butin de guerre nazi puis soviétique (de 1940 à nos jours)
Paris, Payot, 2007.

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