Pierre Moscovici, député (PS) du Doubs et ancien ministre des affaires européennes
Il y a, dans la vie d'un pays, des moments cruciaux où se dessine et se construit l'avenir. Le rôle des hommes et des femmes politiques, c'est de savoir comprendre les défis qu'ils posent, et d'y répondre en écoutant les attentes des Français. Y répondre, c'est travailler sans relâche pour élaborer des propositions concrètes, inventives et crédibles.
Il y a là un paradoxe qui n'est pas propre à la France : après la vague libérale et la financiarisation débridée des années 2000 qui ont débouché, partout en Europe, sur la crise économique et sur la montée du chômage et des inégalités, les conditions semblaient réunies pour un nouveau cycle progressiste. Pourtant, les partis socialistes et sociaux-démocrates européens n'ont que rarement réussi ces dernières années à conquérir le pouvoir, faute d'avoir su tracer des voies nouvelles susceptibles de se traduire dans un projet de gouvernement.
Cette contradiction peut être dépassée, mais il faudra pour cela le courage d'aller au-delà de nos conceptions traditionnelles. Cela suppose de bâtir un projet socialiste qui évite l'écueil du conservatisme et ne se contente pas de la compassion. En effet, s'il est légitime de défendre, face à une politique de droite régressive et aveugle, les fondements de notre modèle social et les fonctions régaliennes de l'Etat - la sécurité, l'éducation, la santé et la protection sociale, la justice -, cet objectif n'est pas, et ne doit pas être, synonyme d'immobilisme ou de conservatisme. Ce serait renier notre identité, dont l'essence est la quête incessante de la justice sociale et du progrès.
Ce serait abandonner les plus fragiles, ceux qui ne bénéficient pas de protections acquises. Ce serait s'exposer aussi à voir s'amoindrir notre rôle sur la scène internationale. Ce serait enfin laisser la droite faire croire qu'elle seule peut porter un discours de réforme et être crédible. L'alternative existe : elle passe par la conquête de nouveaux droits et de protections plus fortes, tenant compte de l'évolution de l'économie, de la démographie et du marché du travail. C'est tout l'enjeu notamment de la mise en place d'une véritable sécurité sociale professionnelle.
Responsabilité, ambition et audace sont la clé de voûte du projet que nous devrons présenter aux Français. Il nous faut dire la vérité et avoir le courage d'affronter les questions les plus complexes, qui sont souvent les plus cruciales pour l'avenir. Car les Français sont informés et conscients de la gravité de la situation du pays : nous pouvons faire confiance à leur intelligence. Pour gagner l'élection décisive de 2012 et réussir ensuite, la gauche ne pourra pas offrir que du sang, de la sueur et des larmes, faute de quoi elle renoncerait à sa mission de transformation sociale et de réduction des inégalités.
Mais elle doit assumer un véritable projet de gouvernement, prenant en compte ces défis : gouverner n'est pas, comme d'aucuns continuent de le penser à gauche, une maladie honteuse ou un long remord, mais une impérieuse nécessité pour que nos propositions ne soient pas de vains songes.
Pour cela, il y a un préalable : la dette publique doit cesser de croître. Elle est en effet notre ennemie à tous, car un pays trop endetté ne peut ni investir pour préparer l'avenir ni développer les services publics. L'ensemble des propositions fiscales du PS - simplification et progressivité de l'imposition du revenu avec un grand impôt citoyen, redéfinition de la fiscalité du patrimoine, lutte contre les niches fiscales injustifiées, développement d'une fiscalité écologique incitative et non punitive - telles que présentées dans le texte de la Convention sur le modèle de développement du PS que j'ai eu l'honneur d'animer sont un premier pas. Nous devrons aller plus loin, être plus audacieux et plus cohérents encore.
En ce qui concerne les retraites, le PS doit être à la fois combatif et clair. Si l'allongement, à terme, de la durée de cotisation peut être la conséquence inéluctable d'une espérance de vie qui augmente, nous défendrons sans relâche la retraite à 60 ans et une meilleure prise en compte de la pénibilité : le relèvement de l'âge légal ne frappe, en effet, que les salariés qui ont commencé à travailler tôt et souvent durement. Nous devons, sur ces questions, faire reculer le pouvoir dans les semaines qui viennent.
Etre responsable, c'est aussi lutter contre des pratiques du pouvoir qui ne peuvent plus être tolérées et défendre les fondamentaux de notre démocratie, quotidiennement mis en défaut aujourd'hui : l'indépendance de la justice et de l'audiovisuel public, le rôle du Parlement, les libertés locales.
Etre ambitieux et audacieux, c'est enfin prendre à bras-le-corps les sujets de société essentiels. La surenchère pathétique et brouillonne d'annonces et de lois du sarkozysme ne tient même plus lieu de cache-misère. Sur la sécurité, la gauche doit refuser le manichéisme que le président de la République tente d'imposer, pour assumer qu'entre sanction et prévention, entre sûreté et libertés, la lutte contre la délinquance est un service public essentiel et noble, qui mérite une approche globale et des moyens à la hauteur de sa mission. Sur l'éducation, nos propositions doivent permettre de lutter contre l'échec scolaire et de construire un avenir à nos enfants.
Il est urgent aussi, dans un contexte de vieillissement démographique, de faire de nouveau confiance à l'immigration et de donner une chance à ceux qui sont venus dans notre pays d'y vivre en respectant les droits et les devoirs fixés par les lois de la République. Ces sujets, la gauche doit les aborder de front pour ne plus laisser la droite répondre à la dette par le déficit ou par l'austérité qui casse la croissance, à l'insécurité par la brutalité, et à l'immigration par la peur de l'autre, comme le président de la République l'a encore fait, il y a un mois, à Grenoble.
Ce projet de gauche, qui passe par une puissante régulation financière et économique, par la défense de l'égalité réelle à travers la redistribution et la solidarité, par l'attachement indéfectible à l'Europe, le choix résolu de la social-écologie et l'affirmation d'un réformisme aussi responsable que radical, on peut l'appeler la social-démocratie : je suis aussi fidèle à cet héritage qu'attaché à son renouvellement.
Ce projet, je suis prêt à le développer et à le défendre pour qu'il soit entendu dans le débat politique, en commençant par les primaires du PS. J'ai assez défendu le principe pour refuser qu'elles se réduisent à un simulacre ou à un sacre. Elles doivent au contraire permettre la confrontation démocratique et équitable entre différentes conceptions d'une politique de gauche et de l'exercice du pouvoir, entre les représentants des sensibilités et des générations diverses qui composent notre famille politique.
Ma position est connue : j'ai la conviction qu'une candidature sociale-démocrate, porteuse d'une nouvelle offre politique, est indispensable au PS et à la réussite de l'action d'un gouvernement progressiste, dont la France a besoin pour sortir de l'expérience brutale, traumatisante, que lui inflige Nicolas Sarkozy. C'est pourquoi je soutiendrai Dominique Strauss-Kahn s'il souhaite être notre candidat à l'élection présidentielle.
S'il ne l'est pas, je suis déterminé à porter les couleurs et le projet de cette gauche ouverte, ambitieuse et crédible pour laquelle je me bats, avec beaucoup d'autres. Je m'y prépare. C'est une tâche aussi grave que passionnante. C'est une "large échappée", une belle échappée qui, je le souhaite, nous conduira à tracer le -chemin.
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