Où sont mes clés ? Qu'étais-je en train de dire ? Où est garée ma voiture ? Qu'est-ce que je suis venue chercher dans cette pièce ?..." De plus en plus de personnes se plaignent de trous de mémoire, affirme la journaliste américaine Martha Lear dans son ouvrage Où sont passées mes lunettes ? (Belfond, 232 pages, 17,50 euros).
Sur fond de peur de la maladie d'Alzheimer, les trous de mémoire dits "bénins" se multiplient. "Plus de la moitié des gens de plus de 50 ans se plaignent de leur mémoire. Il y a 11 % de plaintes mnésiques dans mon service, et ce chiffre tend à augmenter", constate le professeur Bruno Dubois, neurologue à l'hôpital parisien de La Pitié-Salpêtrière, qui a préfacé le livre de Martha Lear. Ce constat est partagé par d'autres médecins, comme le professeur François Blanchard, responsable du pôle gériatrie du CHU de Reims (Marne). Mais avoir parfois la mémoire qui flanche n'a rien d'anormal.
"Les plaintes de mémoire ne signifient pas forcément déficits de mémoire. Ce type de troubles est un phénomène banal", tempère le professeur Dubois. "Tous les spécialistes de la mémoire peuvent vous raconter les affres des super-manageurs qui arrivent à la consultation en tremblant et leur demandent : "Docteur, est-ce que j'ai Alzheimer ?"", explique Mme Lear. L'appréhension de la maladie d'Alzheimer - qui touche environ 850 000 personnes en France et dont la prévalence augmente du fait de l'allongement de l'espérance de vie - est très forte ; d'autant plus forte que cette pathologie génère un fort sentiment d'impuissance.
Les trous de mémoire sont souvent liés à des troubles attentionnels qui s'expliquent par l'évolution de nos sociétés modernes et le stress de la vie quotidienne. Abreuvé d'informations, d'Internet, d'appels sur le téléphone mobile, de SMS et de courriels... le cerveau doit gérer de plus en plus de flux en même temps. Et la mémoire est de plus en plus sollicitée."Comment notre système attentionnel pourrait conserver une trace de toutes ces informations, qui, à peine lues ou entendues, sont déjà remplacées par d'autres ?, questionne le professeur Dubois. Notre cerveau ne s'est pas (ou pas encore !) adapté à cette évolution si récente."
En outre, "les situations anxiogènes peuvent provoquer des troubles de l'attention, de mémorisation, de concentration", liste Elisabeth Grebot, psychologue spécialiste du stress. "Les troubles liés à la dépression, le stress, la fatigue, les insomnies, les excès d'alcool, etc., sont autant de facteurs qui peuvent avoir une influence", complète le professeur Blanchard.
"AUTOROUTE DES SOUVENIRS"
Dans ce contexte, comment faire la part des choses entre les troubles de mémoire bénins et une pathologie ? En analysant la réalité des maux et en pratiquant des tests. Les médecins font souvent passer un test cognitif assez simple : faire lire une liste de cinq mots (sauterelle, limonade, camion, musée, passoire), puis demander de nommer la boisson, l'insecte, le véhicule... et de répéter les cinq mots. Après un laps de temps, renouveler l'épreuve. Si la personne ne retrouve pas les mots, même avec les indices, il faut aller plus loin.
Le plus souvent, "les patients souffrant de la maladie d'Alzheimer ne se plaignent d'aucun trouble", rappelle le professeur Dubois. Les troubles de la mémoire augmentent essentiellement avec l'âge. "Le vieillissement entraîne la baisse des ressources attentionnelles. Or, une information mal enregistrée ne sera pas récupérée", souligne-t-il. "Ce sont les fonctions cognitives qui sont modifiées avec l'âge, comme la rapidité d'exécution, le calcul, la concentration, mais pas forcément la mémoire", tempère le professeur Blanchard.
La mémoire fonctionne en trois étapes. D'abord, l'enregistrement, ou l'encodage, lorsque le cerveau acquiert les informations ; puis, le stockage, la fixation des données ; enfin, la récupération d'information, dans laquelle intervient l'expression du souvenir, conscient ou inconscient. "Une fois l'information perçue, le cerveau l'analyse et la transfère vers l'hippocampe, véritable péage de l'autoroute des souvenirs, une voie automatique qui permet de graver les informations dans le disque dur, résume le professeur Dubois. Une chose est sûre, mieux on encode l'information, plus on a des chances de la mémoriser." Si le sujet n'est pas attentif, l'information ne sera pas bien enregistrée et donc mal récupérée.
"Il ne faut pas oublier l'aspect émotionnel, l'état d'implication...", analyse le professeur Blanchard. Notre "disque dur" a des ratés et ne conserve pas toutes les informations.
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