L'austérité jugée inefficace, Berlin est appelé à débloquer la situation
LEMONDE.FR | 18.01.12 | 19h12 • Mis à jour le 19.01.12 | 07h54
Le discours alarmiste de ces derniers mois sur le niveau des finances publiques européennes – défendu aussi bien par les agences de notation que par nombre de gouvernements européens – a focalisé l'attention sur les plans de rigueur adoptés par consensus dans l'Union européenne.
Première à pousser en faveur de l'austérité, l'Allemagne a d'ailleurs immédiatement appelé à plus de rigueur après l'annonce par Standard & Poor's, vendredi 13 janvier, de la dégradation de la note de neuf pays de l'Eurozone, alors même que l'agence pointait du doigt, entre autres, l'inefficacité des politiques adoptées.
Si Angela Merkel souhaite accélérer les accords sur le renforcement budgétaire en Europe, présentés comme une solution efficace pour sortir rapidement les pays de la crise, plusieurs voix s'élèvent pour rappeler que l'austérité ne sera efficace – en tout cas pour les pays les plus durement touchés – qu'accompagnée, en retour, d'une politique de croissance initiée par Berlin.
L'AUSTÉRITÉ COMPARÉE À LA "SAIGNÉE MÉDIÉVALE"
Parmi ces voix, l'une des plus pessimistes est celle du célèbre économiste américain Joseph Stiglitz, prix Nobel en 2001, qui lors du Forum financier asiatique de Hongkong, mardi, est allé jusqu'à comparer l'austérité à "la pratique de la saignée dans la médecine médiévale". Celle-ci pourrait, selon lui, provoquer à terme la disparition de l'euro.
Lors d'une conférence économique en Argentine, en décembre, Stiglitz déclarait déjà que "les politiques d'ajustement aux Etats-Unis et en Europe ne résoudront pas la crise économique. Le déficit budgétaire n'est pas à l'origine de la crise, c'est au contraire la crise qui a causé le déficit budgétaire".
Il sont ainsi plusieurs à camper sur cette ligne. L'économiste André Grjebine, directeur de recherche au CERI-Sciences Po (Centre d'études et de recherches internationales), déplore, dans une analyse parue en janvier sur Le Monde.fr, "la logique à courte vue des gouvernements européens (...) d'autant plus dangereuse que, depuis Keynes, chacun sait qu'il ne faut précisément pas freiner la croissance en période de ralentissement économique".
UN PROCESSUS "AUTODESTRUCTEUR"
Selon M. Grjebine, "dans un tel contexte, les Etats les plus vulnérables sont donc acculés à pratiquer des politiques d'austérité pour satisfaire aux exigences de leurs créanciers. En hypothéquant ainsi leur croissance, ils réduisent leurs recettes publiques et rendent plus problématique encore le remboursement de leur dette publique".
Il va même plus loin, dans une tribune publiée mercredi 18 janvier dans Le Monde et co-écrite par Francesco Saraceno, économiste à l'OFCE. "Un processus de réformes basé sur le seul pilier de l'austérité budgétaire risque de s'avérer autodestructeur, l'inquiétude des consommateurs quant à leur emploi et leurs revenus réduisant la demande intérieure et celle-ci conduisant à une baisse des recettes fiscales", prévient-il.
Un cercle vicieux à craindre particulièrement dans les pays où le chômage est élevé, comme en Espagne ou au Portugal, deux pays sur lesquels plane à terme le spectre d'une restructuration de la dette.
En plus des plans d'austérité visant à réduire leur déficit, les gouvernements espagnol et portugais s'attaquent désormais au marché du travail. Là encore des mesures drastiques, comme la suppression de jours fériés ou la baisse de la durée d'indemnisation du chômage, sont prévues dans le but de relancer la compétitivité du pays.
BERLIN APPELÉ À LA RESCOUSSE
Ces mesures ont un impact social non négligeable, puisqu'elles sont synonymes de "compression salariale, pour réduire le coût du travail. Automatiquement, le chômage va augmenter et la demande, se réduire. Cela peut durer très longtemps", s'alarmait mardi, dans un article du Monde, Anne-Laure Delatte, économiste à laRouen Business School.
C'est pourquoi "l'effort de redressement budgétaire imposé aux pays de la périphérie devrait, par ailleurs, être étalé sur une période assez longue pour que ses effets récessifs soient minimisés", insistent de leur côté MM. Grjebine et Saraceno. En attendant les effets positifs des plans d'austérité, à long, voire à très long terme, l'Allemagne semble, pour certains, appelée à jouer un rôle essentiel dans la sortie de crise.
Dans un entretien au Financial Times, mardi 17 janvier, Mario Monti a ainsi clairement demandé à l'Allemagne d'aider l'Italie et les autres pays de la zone euro surendettés à abaisser leurs coûts d'emprunt, en complément à l'austérité engagée. Plus qu'un simple échange de bons procédés, cette aide conditionne aux yeux de M. Monti la réussite des plans de rigueur mis en place dans la douleur.
"UNE RELANCE DANS LES PAYS EXCÉDENTAIRES"
"Si l'on ne reconnaît pas le mouvement énergique engagé vers la discipline et la stabilité, il faut craindre de fortes répercussions dans les pays qui sont soumis à un énorme effort de discipline", a prévenu à ce titre le président du Conseil italien.
De leur côté, les économistes André Grjebine et Francesco Saraceno soutiennent que "les pays européens devraient mettre en œuvre des politiques économiques susceptibles à la fois de soutenir la croissance et de faciliter ainsi le remboursement des dettes publiques et de rééquilibrer les balances courantes entre pays de la zone euro. Ce double objectif ne paraît pouvoir être obtenu que par une relance dans les pays excédentaires, en premier lieu en Allemagne".
Désigné comme l'un des derniers espoirs pour sauver la zone euro, Berlin ne semble pourtant pas très réceptif à l'appel au secours des pays en difficulté. Persuadé qu'il s'agit avant tout d'un problème de déficit budgétaire, le pays reste sourd à toute tentative d'éloignement du droit chemin de l'austérité. Reste à savoirsi l'Union européenne a encore le temps d'attendre que l'Allemagne se décide àagir.
Anna Villechenon
Le discours alarmiste de ces derniers mois sur le niveau des finances publiques européennes – défendu aussi bien par les agences de notation que par nombre de gouvernements européens – a focalisé l'attention sur les plans de rigueur adoptés par consensus dans l'Union européenne.
Première à pousser en faveur de l'austérité, l'Allemagne a d'ailleurs immédiatement appelé à plus de rigueur après l'annonce par Standard & Poor's, vendredi 13 janvier, de la dégradation de la note de neuf pays de l'Eurozone, alors même que l'agence pointait du doigt, entre autres, l'inefficacité des politiques adoptées.
Si Angela Merkel souhaite accélérer les accords sur le renforcement budgétaire en Europe, présentés comme une solution efficace pour sortir rapidement les pays de la crise, plusieurs voix s'élèvent pour rappeler que l'austérité ne sera efficace – en tout cas pour les pays les plus durement touchés – qu'accompagnée, en retour, d'une politique de croissance initiée par Berlin.
L'AUSTÉRITÉ COMPARÉE À LA "SAIGNÉE MÉDIÉVALE"
Parmi ces voix, l'une des plus pessimistes est celle du célèbre économiste américain Joseph Stiglitz, prix Nobel en 2001, qui lors du Forum financier asiatique de Hongkong, mardi, est allé jusqu'à comparer l'austérité à "la pratique de la saignée dans la médecine médiévale". Celle-ci pourrait, selon lui, provoquer à terme la disparition de l'euro.
Lors d'une conférence économique en Argentine, en décembre, Stiglitz déclarait déjà que "les politiques d'ajustement aux Etats-Unis et en Europe ne résoudront pas la crise économique. Le déficit budgétaire n'est pas à l'origine de la crise, c'est au contraire la crise qui a causé le déficit budgétaire".
Il sont ainsi plusieurs à camper sur cette ligne. L'économiste André Grjebine, directeur de recherche au CERI-Sciences Po (Centre d'études et de recherches internationales), déplore, dans une analyse parue en janvier sur Le Monde.fr, "la logique à courte vue des gouvernements européens (...) d'autant plus dangereuse que, depuis Keynes, chacun sait qu'il ne faut précisément pas freiner la croissance en période de ralentissement économique".
UN PROCESSUS "AUTODESTRUCTEUR"
Selon M. Grjebine, "dans un tel contexte, les Etats les plus vulnérables sont donc acculés à pratiquer des politiques d'austérité pour satisfaire aux exigences de leurs créanciers. En hypothéquant ainsi leur croissance, ils réduisent leurs recettes publiques et rendent plus problématique encore le remboursement de leur dette publique".
Il va même plus loin, dans une tribune publiée mercredi 18 janvier dans Le Monde et co-écrite par Francesco Saraceno, économiste à l'OFCE. "Un processus de réformes basé sur le seul pilier de l'austérité budgétaire risque de s'avérer autodestructeur, l'inquiétude des consommateurs quant à leur emploi et leurs revenus réduisant la demande intérieure et celle-ci conduisant à une baisse des recettes fiscales", prévient-il.
Un cercle vicieux à craindre particulièrement dans les pays où le chômage est élevé, comme en Espagne ou au Portugal, deux pays sur lesquels plane à terme le spectre d'une restructuration de la dette.
En plus des plans d'austérité visant à réduire leur déficit, les gouvernements espagnol et portugais s'attaquent désormais au marché du travail. Là encore des mesures drastiques, comme la suppression de jours fériés ou la baisse de la durée d'indemnisation du chômage, sont prévues dans le but de relancer la compétitivité du pays.
BERLIN APPELÉ À LA RESCOUSSE
Ces mesures ont un impact social non négligeable, puisqu'elles sont synonymes de "compression salariale, pour réduire le coût du travail. Automatiquement, le chômage va augmenter et la demande, se réduire. Cela peut durer très longtemps", s'alarmait mardi, dans un article du Monde, Anne-Laure Delatte, économiste à laRouen Business School.
C'est pourquoi "l'effort de redressement budgétaire imposé aux pays de la périphérie devrait, par ailleurs, être étalé sur une période assez longue pour que ses effets récessifs soient minimisés", insistent de leur côté MM. Grjebine et Saraceno. En attendant les effets positifs des plans d'austérité, à long, voire à très long terme, l'Allemagne semble, pour certains, appelée à jouer un rôle essentiel dans la sortie de crise.
Dans un entretien au Financial Times, mardi 17 janvier, Mario Monti a ainsi clairement demandé à l'Allemagne d'aider l'Italie et les autres pays de la zone euro surendettés à abaisser leurs coûts d'emprunt, en complément à l'austérité engagée. Plus qu'un simple échange de bons procédés, cette aide conditionne aux yeux de M. Monti la réussite des plans de rigueur mis en place dans la douleur.
"UNE RELANCE DANS LES PAYS EXCÉDENTAIRES"
"Si l'on ne reconnaît pas le mouvement énergique engagé vers la discipline et la stabilité, il faut craindre de fortes répercussions dans les pays qui sont soumis à un énorme effort de discipline", a prévenu à ce titre le président du Conseil italien.
De leur côté, les économistes André Grjebine et Francesco Saraceno soutiennent que "les pays européens devraient mettre en œuvre des politiques économiques susceptibles à la fois de soutenir la croissance et de faciliter ainsi le remboursement des dettes publiques et de rééquilibrer les balances courantes entre pays de la zone euro. Ce double objectif ne paraît pouvoir être obtenu que par une relance dans les pays excédentaires, en premier lieu en Allemagne".
Désigné comme l'un des derniers espoirs pour sauver la zone euro, Berlin ne semble pourtant pas très réceptif à l'appel au secours des pays en difficulté. Persuadé qu'il s'agit avant tout d'un problème de déficit budgétaire, le pays reste sourd à toute tentative d'éloignement du droit chemin de l'austérité. Reste à savoirsi l'Union européenne a encore le temps d'attendre que l'Allemagne se décide àagir.
Anna Villechenon
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